Pauline s'arrache
de Emilie Brisavoine
Acid


Sortie en salle : 23 décembre 2015




Pauline, ça arrache !

Pauline fait partie d’une famille complètement déjantée, composée d’une mère excentrique, d’un père travesti, d’un frère qui a quitté le domicile familial et d’une grande sœur qui la gonfle. Elle a un petit ami nommé Abel. Elle n’en fait qu’à sa tête. Et sa demi-sœur Émilie a décidé d’en faire l’épicentre d’un film consacré à sa famille...

Le concept du home-movie a tout pour susciter la polémique, entre ceux qui loueront son bagage inexpérimenté propice à une foudroyante énergie de filmer et ceux qui pesteront encore et toujours sur le néant stylistique auquel ce genre de projet se résume souvent. Par chance, Pauline s’arrache pourrait bien permettre aux deux camps de fumer le calumet de la paix. L’idée est aussi simple qu’inquiétante : une jeune réalisatrice en herbe passe près de cinq ans à filmer toute sa famille au caméscope, accumulant ainsi des centaines d’heures de rushes, jusqu’à finir par y piocher des bribes d’une fiction, centrée sur sa demi-sœur Pauline, reconstituée à partir d’archives bien réelles et torchée sans la moindre connaissance du cadre et du découpage (ce que la réalisatrice assume avec une vraie honnêteté). Vu comme ça, on craint le pire : va-t-on avoir droit à un énième dérivé voyeuriste de l’émission Strip-tease ou à la longue complainte existentielle d’une adolescente qui posterait son quotidien chiant comme la mort sur YouTube ? Ni l’un ni l’autre, bien au contraire…

Est-ce un journal filmé ? Est-ce un psychodrame familial ? Est-ce un ready-made expérimental ? Est-ce une chronique adolescente bidouillée à la va-vite ? À vrai dire, le premier film d’Émilie Brisavoine (déjà actrice dans La Bataille de Solférino) brouille sans cesse les pistes, un peu à l’image d’une héroïne sur le front de laquelle tous les superlatifs du monde pourraient être tatoués. Jolie, hilarante, conne, cool, exaspérante, bordélique, déglinguée, attachante, vénère, manipulatrice, râleuse, romantique, adorable, égocentrique : la Pauline en question est une tornade force 5 qui s’emporte contre tout et n’importe quoi (son père, sa mère, son petit ami, ses copines, son Facebook, son smartphone, etc.). Le genre d’ado immature chez qui la rébellion n’est que le signe d’une déconnexion avec le « vrai » (mais pas avec les réseaux sociaux…), qui n’arrive pas à comprendre sa propre famille à force de se construire ses propres règles de vie, qui s’isole des autres à force de passer de l’un à l’autre. Le genre d’héroïne irrésistible que l’on prend un plaisir pas possible à suivre dans son quotidien, que ce soit pour partager ses réflexions existentielles hilarantes ou pour se limiter à compter le nombre de fois où elle finit ses phrases par « Tu vois » (à un moment donné, on a arrêté…). Elle est à l’image du film : un torrent de vérité chopée sans réfléchir qui transpire le vécu à tous les niveaux.

Pour redonner un bon coup de peps à la chronique adolescente (un genre devenu un cliché à part entière), on ne pouvait pas trouver mieux que ce montage instable et siphonné, usant d’une image de caméscope incroyablement dégueulasse, et élaboré sous la forme d’une structure de conte de fées (avec des cartons inspirés de La Belle au Bois Dormant). Ce gros « plus » narratif est aussi ce qui atomise les travers dans lesquels le film aurait pu tomber :

d’une part, cela impose une lecture symbolique du récit et des enjeux émotionnels, et d’autre part, cela permet à la caméra de contourner habilement le voyeurisme un peu sectaire qui aurait pu éventuellement s’installer de par le caractère très queer de cette cellule familiale. En optant pour l’angle du conte – pas si – féérique, Brisavoine fait dévier son tableau d’une famille aux allures de « cage aux folles » (il n’y a qu’à voir la scène d’ouverture où toute la smala est travestie !) vers celui d’un cocon doux-amer, où l’on assume son extravagance avec une sincérité jamais feinte, et ce au point de ne jamais craindre de l’exhiber. Parce qu’ici, caméra oblige, tout devient prétexte à créer un spectacle même si tout n’est que pure vérité des actions et des sentiments.

Outre une science du dialogue qui fait hurler une vérité sans fard dans chaque échange verbal (on pense souvent aux premiers films-maison de Sophie Letourneur), rien ne sera plus puissant ici que cette astuce de scénario qui ouvre alors une délicate fenêtre sur l’intime. Dans une scène judicieusement située en fin de bobine, la réalisatrice montre à Pauline et à son père une scène du film, que l’on a déjà vue avant et dans laquelle se déroulait une dispute assez violente entre les deux. L’occasion d’une remise en question réciproque par le biais de la fiction, sans pathos ni angélisme, entre deux êtres qui découvrent leur vérité cachée à travers le spectre du cinéma. Dans ces moments-là où le réel sert de projecteur sur la fiction et où cette fiction finit par se recentrer sur le rapport entre une fille rebelle et son père, c’est tout juste si le film ne devient pas malgré lui la version punk du mémorable À nos amours de Maurice Pialat.

Par le titre « Pauline s’arrache », il fallait aussi bien comprendre l’idée de se détacher du cocon familial que celle de déchirer l’enveloppe sociale que l’on se construit en bouclier à ceux qui nous entourent. Sous l’impulsion d’une Pauline qui devient le point de vue périphérique de l’ensemble de la famille, ce film bourré d’énergie ne raconte que ça : une libération punk qui démarre dans la rage incontrôlée pour finir dans l’apaisement généralisé. Ce que la bande originale un peu foutraque – on y entend aussi bien Christophe Willem que Marilyn Monroe – traduit à merveille par son usage malin de la 25e symphonie de Mozart : remixé à la guitare électrique dès la scène d’ouverture, le morceau reprendra finalement son caractère lyrique lors du final, achevant ainsi la résurrection du foyer et la joie dansante de chacun de ses membres.

Au final, il est indiscutable qu’Émilie Brisavoine a encore beaucoup à apprendre pour construire un découpage correct et pour réussir à donner une vraie consistance à un cadre. Pour autant, en l’état, elle ne démérite en aucun cas dans son projet plus ou moins réfléchi de cinéma improvisé et « appris » sur l’instant : ce gribouillage filmique bien déguisé en portrait de famille bien déjanté renifle une modernité joyeuse et déballe une énergie narrative que peu de films cannois pouvaient se targuer de lâcher sur la Croisette. Et rien que pour ça, cette étoile montante mérite le respect…

Guillaume Gas

En collaboration avec le site Abus de ciné

 



 

 


1h28 - France, - Documentaire

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