The Tribe |
Les combattants Premier long métrage de Miroslav Slaboshpitsky, The Tribe, tourné en Ukraine au moment où la Russie tentait d'annexer la Crimée, a raflé les principaux prix de la Semaine de la Critique 2014, ce qui fut amplement mérité. Il a en effet largement dominé la sélection, avec L'Institutrice. Un carton annonce la couleur dès l'ouverture : « Ce film a été tourné en langage des signes. Il ne comporte ni traduction, ni sous-titres, ni commentaires ». Ce n'est pas pour autant un film muet, tant le son aura une place centrale (le bruit d'un atelier, des meubles que l'on fracasse...). On s'habituera d'ailleurs très vite au procédé qui fait songer aux dix premières minutes de L'Enfant sauvage et ne nuira en rien à la compréhension de l'histoire. En guise d'exposition, un long plan fixe donne d'emblée un aperçu de la démarche du cinéaste. On y suit, Sergey, un jeune sourd et muet, qui demande son chemin pour se rendre dans un internat spécialisé. La parole est absente mais la communication est bien présente. Le spectateur est ensuite entraîné dans un monde sans pitié où des adolescents handicapés, graines de délinquants, extériorisent leur mal-être par la violence et des trafics en tous genres. D'abord bizuté et subissant des brimades, Sergey est repéré pour ses talents de bagarreur et finit par avoir la confiance des leaders de l'institution. Il rejoint ainsi la bande des racketteurs qui s'adonnent également à des activités de commerce illicite dans un train, tout en alimentant un mini-réseau de proxénétisme. Deux filles de l'école sont ainsi prostituées auprès de routiers d'où des séquences d'une noirceur extrême dans ce que l'on suppose être une aire d'autoroute. Mais Sergey s'éprend d'Anna, l'une des deux adolescentes concernées... |
Le scénario de The Tribe, à la fois minimaliste et puissant, évite le misérabilisme et le sentimentalisme qu'un tel sujet pouvait amener. On ne décèle ni l'académisme appliqué des Enfants du silence, ni l'humanisme didactique de Miracle en Alabama, ni la dénonciation sociale de Los Olvidados, œuvres ayant naguère traité du problème de l'adolescent sourd et muet ou intégré à une « tribu » de jeunes déviants. Tout au plus trouve-t-on parfois la sécheresse d'un Haneke, s'il faut absolument se rattacher à une référence. Car Slaboshpitsky a un ton bien à lui. Ne laissant aucun indice sur le passé de ces jeunes protagonistes (pas même Sergey), le cinéaste les montre s'enfoncer doucement mais sûrement, sans repère familial et scolaire, les rares adultes présents dans le récit étant des profiteurs ou des éducateurs indifférents et peu bienveillants. Des bastons initiatrices du premier quart d'heure au dénouement atroce, en passant par des scènes de sexe crues et un avortement effectué dans une salle de bain sinistre, le spectateur n'est pas placé dans une position confortable et Miroslav Slaboshpitsky ne cherche en rien à adopter un ton aimable. C'est ce qui fait la force de ce long métrage, véritable pavé dans la mare du politiquement correct et filmique. Il faut aussi souligner la remarquable direction d'acteurs non professionnels sourds et muets, sans que le film ne surligne le contexte plus ou moins documentaire du projet. Du grand art et un film choc ! Gérard Crespo
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2h10 - Ukraine - Scénario : Miroslav SLABOSHPYTSKIY - Interprétation : Grigoriy FESENKO, Yana NOVIKOVA, Rosa BABIY. |