Polyester |
Les damnés Polyester est un peu un film de transition dans l'œuvre de John Waters. Il se situe entre Desperate Living (1977) et Hairspray (1988). C'est-à-dire qu'il est à la charnière de sa veine underground et d'un ton de comédie indépendante davantage grand public, dont l'aboutissement stylistique sera le réjouissant Cry-Baby (1990). Dans la ville de Baltimore, nous suivons les mésaventures et la descente aux enfers de Francine. Son mari gère un cinéma porno et la harcèle en la trompant sous ses yeux, son fils est un écraseur d’orteils qui sniffe de la colle, sa fille est nymphomane, sa mère la méprise. Elle-même est alcoolique. La rencontre de Francine avec un play-boy sur le retour va bousculer l’équilibre déjà précaire de cette famille atypique. On trouve dans Polyester tous les signes de la réputation de Waters, petit maître sulfureux et allumé : le sens du dérisoire (la pathologie du fils), le scatologique, le côté potache, et la représentation de l'anormalité physique, prenant notamment ici l'allure de personnages édentés ou de chevaliers servants difformes, dignes précurseurs de la Délit-de-Faciès (« Hatchet-Face ») de Cry-Baby. Le film est un pavé dans la mare du politiquement correct et de l'« american way of life », Waters dégainant avec jubilation contre l'ordre social : grenouilles de bénitier, commandos anti-avortement, ligues de vertu et réacs en tous genres en prennent pour leur grade. Ce n'est pas non plus un hasard si la vie conjugale et amoureuse de Francine lui fait côtoyer deux hommes diamétralement opposés mais pas tant que cela. Elmer, son mari (David Samson), représente la tentation d'un cinéma bis atypique rejeté par la bonne société. |
Todd Tomorrow (l'ex-bellâtre Tab Hunter), en apparence policé et distingué, abonné aux Cahiers du cinéma, tient un cinéma d'avant-garde peuplé d'une élite guindée et projetant India Song de Duras. Il s'avérera pourtant aussi tordu et torturé qu'Elmer. Cette opposition entre les deux exploitants de salles représente l'ambivalence de l'univers de John Waters, fasciné par la série Z aussi bien que le cinéma intellectuel européen. Si Polyester annonce aussi les œuvres plus accessibles (on n'ose écrire « consensuelles ») de Waters, c'est par ce ton burlesque de second degré et cet humour pince-sans-rire qui n'appartiennent qu'à lui. À cet égard, les agressions physiques d'honorables ménagères ou la vengeance d'une chanteuse Gospel (Jean Hill) ne sont pas les passages les moins savoureux de ce jouissif jeu de massacre. John Waters s'est entouré de sa troupe de comédiens de Baltimore, en marge de l'industrie hollywoodienne, composant l'un des castings les moins glamours mais les plus singuliers du cinéma américain. On retiendra en particulier Edith Massey, dans la peau du seul personnage bienveillant envers Francine, incarné dans tous ses excès par le génial Divine. Polyester avait été en outre le premier film projeté en « odorama », une carte à cases numérotées étant distribuée avec le ticket d'entrée. Lorsqu'un numéro apparaissait à l'écran, le spectateur devait gratter la pastille adéquate pour sentir les mêmes odeurs (colle, marijuana...) que les protagonistes. Cette expérience olfactive est également proposée dans les supports DVD du film. Là encore, il faut y voir une fascination de Waters pour l'ironie décalée. Gérard Crespo
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1981 - 1h26 - États-Unis - Scénario : John WATERS - Interprétation : DIVINE, Tab HUNTER, Edith MASSEY, David SAMSON, Mary GARLINGON, Mink STOLE, hEAN |