Baignade interdite

Quatre ans après Le Roi de l'évasion, Alain Guiraudie signe son meilleur film, qui commence comme du Rohmer en milieu gay et se termine en polar gore, avec un réel sens de l'atmosphère et de la narration. Dans une belle région ensoleillée, Franck découvre un charmant lac que fréquentent des homosexuels autochtones ou de passage. Bronzage, baignades, drague ou copulations constituent le rituels des habitués du lieu. Franck sympathise avec Henri, un vacancier d'un certain âge, qui se tient à l'écart, misanthrope au premier abord, mais qui s'avère volubile et plutôt sympathique. Henri, bisexuel et réservé, est différent des autres hommes présents ici et déclare ne venir dans ce coin que pour le calme et la beauté du site... Mais alors pourquoi ce choix plutôt que celui d'un lac plus traditionnel ? Très vite, Franck est attiré par Michel, un beau trentenaire séducteur et en couple, avec qui il échange plusieurs sourires et regards complices. Franck tombe vite amoureux avant d'avoir la preuve que Michel est mortellement dangereux... En dire davantage serait déflorer l'intrigue et la subtilité d'une œuvre qui scotche le spectateur à l'écran pendant toute sa durée...

On ne sait comment étiqueter L'Inconnu du lac, qui conjugue les genres avec bonheur et multiplie les digressions qui s'avèrent en fait des éléments essentiels du récit. De la présence d'un policier intègre et compréhensif, pas homophobe pour un sou, au souvenir de son ex-épouse raconté par Henri, le cinéaste multiplie les fausses pistes et effets en trompe-l'œil, au point où l'on se demande si les événements tragiques qui semblent s'y dérouler ne sont pas dans l'imagination de Franck. L'unité de lieu (on ne quitte pas le lac, les bosquets et le parking) et le rituel des journées qui viennent scander le rythme des séquences, loin d'être des figures de style, sont des choix de scénario et de mise en scène cohérents, créant un paradoxal effet d'enfermement en plein air : nous nous familiarisons vite avec un décor dont l'apparente sérénité cache un secret sordide... Jouant avec les terreurs inconscientes du spectateur, Guiraudie s'amuse comme un fou à le diriger sans le manipuler, aussi bien qu'il dirige ses acteurs professionnels peu connus, qui partagent l'affiche avec des figurants nudistes... Ce bijou a bien mérité aussi bien sa Queer Palm que le prix de la mise en scène de Un Certain Regard.

Gérard Crespo