Thérèse Desqueyroux |
Mortelle hyménée En 1962, Georges Franju avait déjà adapté le roman de François Mauriac, avec Emmanuelle Riva, Philippe Noiret et Edith Scob dans les rôles tenus aujourd'hui par Audrey Tautou, Gilles Lellouche et Anaïs Demoustier. La version proposée par Claude Miller est une autre variation réussie de ce récit puissant. La structure en flash-back de Franju est éliminée au profit d'une linéarité qui intensifie la tension dramatique. Thérèse Desqueyroux étouffe dans cet univers bourgeois qui la cantonne à un rôle d'épouse docile dans un univers étriqué et conformiste. Une belle-mère froide et indifférente (subtile Catherine Arditi), un époux guindé dans les convenances et ne manifestant aucune tendresse, une jeune belle-sœur amoureuse tentant de casser l'ordre social mais vite remise dans le droit chemin seront les catalyseurs de son trouble intérieur. Aussi, quand le médecin devra prescrire une ordonnance de morphine à Bernard, son époux, Thérèse versera quelques gouttes en plus dans son verre... La suite du roman (et du film) relate sa douce descente aux enfers, la communauté familiale voulant la sanctionner tout en préservant les apparences... Par rapport au roman, Bernard est montré avec un peu plus d'humanité ce qui accentue le doute du spectateur quant aux intentions véritables de Thérèse... |
À l'instar des personnages de Charlotte Gainsbourg dans L'effrontée, Michel Serrault dans Mortelle randonnée ou Vincent Rottiers dans Je suis heureux que ma mère soit vivante, Thérèse est une incomprise qui manifeste un trouble obsessionnel. La fixation de l'adolescente sur une pianiste prodige, l'obstination du détective à protéger une criminelle qu'il identifie à sa propre fille ou l'entêtement du jeune homme à retrouver sa mère naturelle rejoignent ici le désenchantement bovaryen d'une femme frustrée d'amour et de reconnaissance dans un monde où elle se sent anéantie, et qui décide par un geste fatal de tirer une sonnette d'alarme. Et comme dans Un secret, d'obscures histoires de famille révèlent l'inquiétante manipulation exercée par la parentèle pour garder un semblant de respectabilité. Thérèse Dequeyroux est donc bien réapproprié par le cinéaste qui ne tombe jamais dans l'illustration académique : le soin pictural accordé aux décors et costumes, ou les cadrages d'intérieur et d'extérieur, loin de glacer le dispositif, cernent au plus près l'enfermement (au sens figuré puis au sens propre) d'une héroïne meurtrie. Audrey Tautou trouve ici l'une de ses meilleures compositions et est bien épaulée par des seconds rôles inspirés, dont Isabelle Sadoyan en tante Clara et Francis Perrin en Monsieur Larroque. Le retour sur la Croisette à titre posthume de Claude Miller, quatorze ans après La classe de neige, est donc bien un événement artistique et Thérèse Desqueyroux clôt avec cohérence l'une des filmographies les plus riches du cinéma français. Gérard Crespo
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1h50 - France - Scénario : Nathalie CARTER, Claude MILLER, d'après le roman de François Mauriac - Interprétation : Audrey TAUTOU, Gilles LELLOUCHE, Anaïs DEMOUSTIERS, Catherine ARDITI, Francis PERRIN, Isabelle SADOYAN. |