Stones in Exile
de Stephen Kijak
Quinzaine des réalisateurs - Séance spéciale







« On était jeunes, beaux et stupides… »

« … maintenant nous ne sommes que stupides. » Après avoir spécifié les signes distinctifs du groupe au fil des époques, Mike Jagger resitua l’année 1971 dans son contexte historique : Nixon était à la Maison-Blanche, la guerre du Vietnam n’en finissait pas, Eddy Merckx remportait une fois de plus un Tour de France… et rien n’allait plus en terre britannique pour les Stones, pourtant à l’apogée de leur popularité.

Arnaqués par leur manager, accablés par les impôts, harcelés par l’administration, ils devaient partir pour éviter la faillite. Direction le Sud de la France, où Bill, Charlie, Mick T, Mike J… se positionnent comment autant de satellite autour de Keith, premier émigrant, installé dans la luxueuse villa Nellcote de Villefranche-sur-Mer, idéalement située entre Marseille et l’Italie, pour son grand choix en produits « régionaux ».

À partir d’avril 1971, ils resteront ainsi enfermés pendant six mois pour composer et enregistrer dans les sous-sols de la demeure (anciennement QG de la Gestapo) transformés en studio, leur dixième album, Exile on Main Street. Plutôt boudé à sa sortie, cet opus qui vient de ressortir, 38 ans après, additionné d’inédits, en version remasterisée, a désormais le profil idéal pour être labellisé « culte ».

La première de Stone in exile (diffusion sur France 5 le 10 juin), sorte de making-of de la fabrication de cet album, fut donc l’événement de la Quinzaine des réalisateurs : apercevoir Sir Michael Philip Jagger à l’extérieur était une chose, entrer dans la salle où, avec toute l’équipe, il présentait le film, en fut une autre.

Au rythme d’une caméra speedée, d’improvisations hallucinantes et de scènes hallucinées, témoignages – en particulier ceux du couple Anita Pallenberg / Keith Richards : « Mick’s rock, I’m roll. » – et archives inédites ouvrent les portes d’un laboratoire expérimental où se télescopent création musicale et décadence naturellement assumée : « On est rock ou on ne l’est pas. » Où, entre music, drug, Jack Daniels, sex and sun, boostés par la devise « toujours plus haut », on se faufile comme en clandestinité dans les vies parallèles de ces affranchis de tout.

Ils sont huit musiciens à cette époque, qui ont investi les lieux avec femmes et enfants, bientôt rejoints par les amis, jet-set, groupies, parasites, attirés par cette expérience unique sur fond de fête ininterrompue, cet open bar de substances illicites, légitimées par Richards comme seul moyen de faire abstraction du superflu afin de se concentrer sur l’essentiel : la musique.

Wanted, ils le deviennent également dans cette terre d’exil. Et puis, « il fallait en finir », reconnaît Jagger : le matériel accumulé est énorme mais chaotique, des paroles sans musique, des musiques sur lesquelles on pose en catastrophe des mots en kit, c’est sans doute sa décision de partir mixer à LA qui va sauver l’entreprise.

La beauté de ce film crépusculaire, la splendeur de l’album sont à l’image de ceux qui les hantent : c’est la fragilité du groupe, entre nostalgie de jours révolus, mal du pays et intempérance extrême, à la limite de la dislocation, qui donne à l’œuvre une force et une solidité qui la placent hors du temps.

Marie-Jo Astic


1h01 - Royaume-Uni - Documentaire

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