Route Irish |
« On partageait tout sauf toi » Invité de toute dernière minute dans la compétition officielle cannoise, Route Irish vient confirmer que – malgré la parenthèse (dés)enchantée de Looking for Eric l’an dernier – la cinématographie de Ken Loach, en adhérant au scénario très avisé de Paul Laverty, s’axe plus que jamais sur la violence pure et dure du monde, en guerre toujours et encore. Sur la trame d’une amitié indéfectible, le réalisateur pose avec efficacité un regard insolent et inquisiteur sur la guerre d’Irak, ses réseaux et ses sinistres lendemains. Fergus, ex des SAS (Special Air Services) britanniques fait miroiter à Frankie, ami de toujours et ancien para, le salaire alléchant que lui rapporterait l’intégration de son équipe d’agents de sécurité opérant à Bagdad. Ils sont des contractors, pour ne pas dire mercenaires, sorte de petits profiteurs de guerre à la solde d’états occidentaux charognards qui ajoutent la terreur financière aux exactions commises dans des zones de non droit : impunité totale pour les uns, couverts par l’ordonnance 17 mise en vigueur de 2003 à début 2009, ainsi que pour les autres, parties prenantes de la puissance étatique. Dans cette guerre qui se privatise dans un pays qui « pue le fric » et propice à exacerber toute la cupidité du monde, ils sont ces faux héros, ces faux soldats de la paix, ceux sans qui la guerre et l’occupation n’aurait pas été possibles, ceux aussi qui se sont compromis dans les pires violences faites à la population civile : tortures, mensonges, meurtres, exécutions sommaires. |
« Tu n’en reviendras pas… » chantait Ferré-Aragon : en 2007, Fergus se retrouve devant le cercueil de son ami, ce corps lourdement mutilé, cette dépouille quasi clandestine, et face à la haine de Rachel, sa veuve. Remord, souffrance, colère… Fergus est déterminé à aller chercher la vérité où qu’elle se trouve et à savoir ce qui s’est exactement passé lors de cette embuscade et ce massacre d’une famille, le 17 septembre sur cette Route Irish que Frankie connaissait mieux que quiconque, réputée pour être la plus dangereuse de monde, stand de tir ouvert et permanent situé entre la Zone verte, partie sécurisée de Bagdad, et son aéroport. Refusant la thèse officielle et le fatalisme de la formule wrong place-wrong time, Fergus s’enferre dans son enquête et s’aveugle dans sa vengeance, reproduisant à Liverpool les méthodes « ordinaires » qu’il employait sur le terrain. Au rythme du thriller, Mark Womack, boule de nerfs à vif et sous tension, incarne de façon saisissante ce personnage revenu de tout, un peu plus riche sans doute mais totalement détruit, à l’instar de ces hommes qui, pour être rentrés en vie, ont à porter de façon irréversible le « deuil d’eux-mêmes » en même temps qu’ils portent celui de l’autre, sans aucun espoir de rédemption. Marie-Jo Astic
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1h49 - Royaume-Uni - Scénario : Paul LAVERTY - Interprétation : Mark WOMACK, Andrea LOWE, Trevor WILLIAMS. |