I Wish I Knew
Hai shang chuan qi
de Jia Ziang-ke
Sélection officielle
Un certain regard

palme

Sortie en salle : 19 janvier 2011




Once upon a time in Shangai

Shangai, fascinante mégalopole portuaire, a connu d'immenses bouleversements depuis 1930 : révolutions politiques et culturelles, assassinats, flux de population. Dix-huit personnes se remémorent leurs vies dans cette cité en perpétuelle évolution, leurs expériences personnelles, comme dix-huit chapitres d'un roman...

Deux ans après 24 City, Jia Ziang-ke récidive dans le genre du documentaire fleuve avec cette fresque, commande de l'Exposition universelle. C'est l'un des témoignages les plus complets sur cette ville à la fois inconnue et familière ; et depuis Comment Yukong déplaça les montagnes (Joris Ivens, Marceline Loridan, 1976), jamais autant d'informations n'auront été dévoilées sur la Chine à l'écran.

Des années 30 qui voient la lutte entre nationalistes et communistes aux derniers mois de préparation de l'Exposition, en passant par les heures les plus sombres de la Révolution culturelle, le cinéaste brasse plusieurs décennies en donnant la parole à ceux (gens du peuple, notables, chefs d'entreprise, associatifs, artistes) qui y ont apporté une pierre ou témoignent d'un passé douloureux ou complexe. On ne s'étonnera pas de croiser au fil d'une séquence Hou Hsiao-hsien ou Wong Kar Wai, dont les propos ou extraits de films combleront le plus le public cinéphile.

D'une beauté formelle indéniable et d'une richesse documentaire foisonnante, I Wish I Knew pourra aussi laisser de marbre par son manque de repères pour le contexte historique et politique des témoignages. Là réside la limite de ce projet passionnant mais parfois hermétique.


Gérard Crespo


Chine, c'est ton poème

Le cinéma moderne chinois pourrait-il être mieux défini que par Jia Zhang-ke ? Spectateur d'une mutation sociale et économique qu'il décrit par un matériau au plus près de la constatation et du réel, ses précédents films ont tourné, entre fiction et documentaire esthétique, une nouvelle page de la cinématographie chinoise. Still Life contait les errances de deux personnages inconnus l'un de l'autre au beau milieu du barrage des Trois Gorges, autour des ouvriers et des déconstructions, des terrains insalubres et des projets fous. 24 City, le seul film qui lui a valu une sélection en compétition au festival de Cannes, utilisait le profil documentaire pour brosser les portraits d'une Chine ouvrière à l'ère du XXIe siècle. Aujourd'hui, et après quelques essais documentaires si on peut les nommer ainsi ("Dong" et "Useless"), I Wish I Knew entend évoquer sous le signe d'un « roman-docu » le rapport de force des générations vivant à Shangai, ville folle d'un pays mutant.


Le passé et le présent s'entremêlent au détour d'un dialogue, d'un plan, d'une évocation nostalgique que rend les utilisations symboliques d'une esthétique singulière, particularité du cinéaste. La force des images et leur représentation des propos écrasent parfois les souvenirs de chacun - surtout quand ils sont anecdotiques - puisque le but du film n'est pas d'être une thèse sur le passé et le futur mais bel et bien une radiographie de l'entre-deux-temps, notre présent. Jia Zhang-ke s'y attelle comme on peindrait une fresque, mais sa méthode et ses convictions cinématographiques semblent dépasser de loin les contraintes du temps et la simple présence des personnes qui parsèment son film ; tout y est vu en grand et en large jusqu'à perdre les relations, les transitions, la forme. Au final I Wish I Knew ressemble à un roman splendide d'aventures réelles auquel on aurait ôté des chapitres vitaux. Peut-être est-ce une histoire d'esthétique pure ; on ne peut pas reprocher à Jia Zhang-ke de reformer le geste documentaire en un poème prosodique dont les élans romanesques savent tenir en haleine, mais l'être humain au cœur des films, tout comme dans 24 City, semble être réduit à une particule dans le discours si grandiose de l'œuvre du cinéaste. Sa volonté d'en dire trop sans en dire assez, ou plutôt de décrire large en se restreignant au possible donne l'impression d'être face à un dépouillement du point de vue rempli d'une mégalomanie de l'Histoire.

I Wish I Knew ne semble alors pas être la meilleure façon de comprendre ce que la Chine pourrait devenir, ni ce qu'elle a été. Les fonctions du documentaire sont remplacées par une étrange vision du beau qui enlève souvent au film l'objectivité dont il devrait se munir. Un peu comme lorsque Fellini, fasciné par le laid au point de le sublimer dans une grotesque variation, lui enlève son essence. On comprend tout à fait l'envie de Jia Zhang-ke de se départir du documentaire d'école mais, à vouloir transcender la forme et sa perception, il le relie à une forme hybride qui peine à captiver tant on se demande constamment dans quel camp formel se trouve le film.

"Dong", portrait de peintres chinois autour desquels la caméra gravitait sans cesse, montrait autrement (et sur un sujet fixe et déjà établi) la maîtrise totale de Jia Zhang-ke. Celui-ci y peignait lui-même des peintres attelés à la finition coloriste de leurs tableaux. Le film observait ce que le format d'un tableau évoquait face à celui rendu par l'objectif d'une caméra. J'ai souvenir de longs panoramiques fascinants, entourant sans cesse et jusqu'à l'épuisement des cigarettes à la bouche et pinceaux à la main, comme un tableau circulaire qui n'en finissait pas d'observer le processus créatif. À partir de là le moteur du film finissait par captiver au point de ne plus relâcher la tension et l'interêt. Le cercle était intime, fermé, et de là naissait pleinement l'art de Jia Zhang-ke. Ici, il semble victime d'un élargissement temporel, géographique et historique.

Jean-Baptiste Doulcet


 


2h05 - Chine - Documentaire

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