Hors-la-loi |
« Tu as gagné » 17 octobre 1961, Paris, métro Porte des Lilas : au dernier soupir d’Abdelkader, le colonel Faivre lui consent la victoire et sait que l’Algérie est perdue pour la France. Hors la loi commence où Indigènes s’est arrêté. C’est d’ailleurs à Sétif que l’une des versions, non retenue, du scénario de Rachid Bouchareb aurait pu finir. Car, n’en déplaise à M. Luca, même ce film-là est par définition un objet cinématographique et revendiqué en tant que tel par son réalisateur qui, si cela lui chante, a toute liberté d’expression, voire de revisiter l’Histoire, ce qui dans le cas présent n’est visiblement pas le cas. S’il faut clore la polémique, trop rapidement qualifiée de vaine, on peut rappeler la stupidité d’une démarche tendant à juger hors pièces, déplorer que le plaignant n’ait au moins accordé quelque attention à un excellent dossier de presse, radicalement précis quant à la relation des faits, leur articulation, leurs séquelles. La seule chose qu’on ne puisse lui reprocher est de n’avoir pu avoir accès, comme tout un chacun, aux archives dont une grande partie est toujours non consultable plus de cinquante ans après. Une des vertus de la fresque historique de Bouchareb est de rajouter une pierre à un édifice qui peine à se construire et à lutter contre cette difficulté inouïe à affronter une question qui semble plonger dans l’amnésie une part conséquente de nos compatriotes. De quoi mettre à mal et teinter d’une certaine naïveté les velléités du réalisateur qui espérait voir dans Hors la loi l’opportunité d’« ouvrir un débat dans la sérénité ». Il semble qu’il faudra encore bien des films et bien des années pour que la formule s’expurge de tout antagonisme et pour que certaines questions trouvent réponses : pourquoi un film réalisé par un Algérien sur l’histoire de son pays serait-il forcément suspect ? Est-il possible de revendiquer une égalité de traitement entre les duos Allemagne / France occupée et France / Algérie occupée ? Et par quel artifice pourrait-on encore cautionner toute démarche colonisatrice et y trouver des aspects positifs ? |
Une autre vertu du film est de donner envie de bien connaître ce pan de notre Histoire : car ceux qui ne sont ni spécialisés en la matière, ni algériens, ni rapatriés maîtrisent-ils bien les arcanes de l’ALF, de la SDECE, de l’UDMA ou du MNA, de la Main Rouge et de maintes organisations partie prenantes à un conflit trop souvent réduit à un affrontement FLN Vs OAS. Mais venons-en au film : « Je suis cinéaste, pas historien » réaffirme Bouchareb qui développe une fresque parcourant les 40 dernières années de 132 ans de l’histoire d’une colonisation qui aurait pu s’appeler Il était une fois la France, mais qui en l’appelant Hors la loi privilégie l’attachement à trois individus meurtris par un conflit qui pourrait prendre place n’importe où dans le monde. Ils sont enfants quand en 1925, ils sont expulsés de leur terre, avec famille et baluchon, par le caïd du coin et deux gendarmes. Ils ont vu leurs aînés partir mourir au champ d’horreur pour défendre une mère patrie qui persiste à les considérer comme des citoyens de « seconde zone ». Ils habitent à Sétif ce 8 mai 1945 et revendiquent pacifiquement la libération de Messali Hadj, leader de la cause indépendantiste : manifestation autorisée, drapeau algérien interdit… la goutte d’eau est au bord du vase et déborde sur une répression démesurée, matant leur cause pour une dizaine d’années, une cause qui, avec eux s’exporte à Paris, après un détour par l’Indochine pour ce qui concerne l’aîné… Abdelkader pour l’idéologie, Messaoud pour le bras armé, Said pour le pragmatisme, avec la mère comme ciment familial, supportent à bras le corps cette époque sombre et rugueuse de la naissance, puis de la radicalisation du FLN, ces prémisses de la guerre d’Algérie, mensongèrement rétrogradée au titre d’« événements », cette autre manifestation, cet autre massacre d’octobre 1961 qu’il fallut payer au tribut de la liberté. Ici, les héros, pas plus que leurs adversaires, ne sont aimables et, s’il n’évite pas toujours certains clichés et maladresses, Rachid Bouchareb, par sa mise en scène efficace, fait de Hors la loi un film utile et réussi, servi par une interprétation d’un excellent niveau. Marie-Jo Astic
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2h11 - France, Algérie, Belgique - Scénario : Rachid BOUCHAREB, Olivier LORELLE - Interprétation : Roschdy ZEM, Sami BOUAJILA, Bernard BLANCAN, Jamel DEBBOUZE, Ahmed BENAISSA. |