Des hommes et des dieux |
« Les Dieux sont tombés sur l’esthète »
Il est toujours difficile d’évoquer par la fiction un événement douloureux de l’histoire contemporaine, surtout quand les faits gardent des énigmes non tranchées. Quand en plus, il s’agit de convoquer la foi religieuse et les hommes d’église, même pour mieux s’élever au-delà des dogmes et des confessions, cela tient de la gageure ! Dans les années 90, huit moines trappistes vivent à Notre Dame de l’Atlas, monastère de Tibhirine perché sur les montagnes algériennes. Depuis plusieurs décennies, la communauté partage tous les moments de vie avec les villageois voisins. Refuge spirituel pour les chrétiens d’Algérie, dispensaire pour les soins médicaux, espace de communions des joies et des peines dans le profond respect humain des confessions de chacun et bien sûr lieu de prières, de recueillement, de contemplation et de silence pour ces huit moines portés par le souffle de l’offrande. Alors que la guerre civile embrase le pays, un groupe armé du GIA assassine un groupe de travailleurs étrangers et sème une grosse panique autant chez les habitants de la région que dans le commandement de l’armée algérienne qui propose une protection aux frères du monastère. Mais ceux-ci refusent et malgré la menace grandissante et le doute qui s’installe chez certains d’entre eux sur la nécessité de quitter les lieux, une mystérieuse convergence s’impose peu à peu dans la sérénité et la fraternité. Le film va suivre le groupe dans leur engagement quotidien, avec leurs doutes, les liens profonds les unissant à la population locale, leur esprit de paix et de fraternité qu’ils opposent à la violence, leur intégrité qu’ils confrontent à l’intégrisme. Jusqu’à l’enlèvement de sept d’entre eux en 1996 par le GIA, retenus prisonniers puis assassinés en mars. On ne retrouvera que leurs têtes. On sait depuis peu que la version officielle est plus que mise en cause… |
La réalité a toujours besoin de la fiction pour lui donner davantage de lisibilité. Mais ici, le vrai carburant du film n’est pas la recherche de la vérité et le réalisateur, même s’il accorde quelques petites touches aux ambiguïtés (encore largement en débat à l’époque de l’écriture), se garde bien de placer son point de vue dans ce cadre-là. Ce qui intéresse Xavier Beauvois, ce sont bien les hommes, et en particulier leur serment sacré, leur don, leur doute, leur chair et leur sang aussi. Depuis N’oublie pas que tu vas mourir qui avait obtenu le prix Jean Vigo et le prix du Jury à Cannes en 1995, le réalisateur de Nord, Selon Mathieu et plus récemment du Petit Lieutenant, allège de film en film sa mise en scène. La distance qu’il a ici avec son sujet est parfaitement servie par celle de sa caméra avec les personnages. Qu’il cadre un dialogue entre Frère Christian, le Supérieur (Lambert Wilson) et ses différents compagnons, qu’il nous fasse pénétrer dans l’intimité d’un chant de prières ou d’un recueillement ou encore qu’il mette en scène (en Cène) un (dernier ?) repas jubilatoire des moines, Xavier Beauvois ne filme jamais plus haut que sa caméra… Le risque aurait été qu’il s’élevât en laissant à hauteur de fauteuil les spectateurs. Grand Prix du Festival de Cannes 2010, Prix du Jury Œcuménique et Prix de l’Éducation Nationale, Des Hommes et des Dieux est une œuvre cinématographique singulière et puissante, atteinte par une grâce élégante, où semble-t-il ce sont finalement les Hommes qui consolent les Dieux. Jean Gouny
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2h00 - France - Scénario : Etienne COMAR, Xavier BEAUVOIS - Interprétation : Lambert WILSON, Michael LONSDALE, Olivier RABOURDIN, Roschdy ZEM, Sabrina OUAZANI. |