Boxing Gym |
L'éducation du regard Austin, Texas. La salle Lord Gym a été fondée il y a seize ans par Richard Lord, un ancien boxeur professionnel. Une grande variété de personnes de tous âges, toutes races, toutes ethnies et classes sociales s'entraînent dans la salle : des hommes, des femmes, des enfants, des médecins, des avocats, des hommes et des femmes d'affaires, des immigrés, des boxeurs professionnels, des amateurs qui veulent devenir boxeurs professionnels, des amoureux de la boxe et des adolescents qui essaient de développer leur force et leur assurance. La salle de boxe est un exemple du "melting pot" américain où les gens se rencontrent, parlent, s'entraînent. La force documentaire que puise depuis des années F. Wiseman tient dans l'absence de spectaculaire et le refus d'asséner une quelconque morale ou une quelconque singularité esthétique (ce qui fait la radicalité essentielle d'un film comme La Danse en même temps que sa déplorable envie de fermer les yeux sur la sensualité de l'art et du corps). La voix off n'existe pas et le commentaire sort naturellement de l'image. Wiseman est un des très rares cinéastes du regard, en cela qu'il donne à voir dans un format approprié une réalité dont il ne déforme jamais l'expression et le rythme. Il semble ausculter infiniment, sans jamais compresser. Boxing Gym offre alors une perspective documentaire qui semble être la source même de ce qui n'est pas fictif, retraduisant aussi bien les paroles d'anonymes comme les ambiances que recouvre cette salle de boxe. On ne sait de chaque être humain rien d'autre qu'une bribe d'existence ; il n'y a pas ici de héros ou de seconds rôles. Wiseman ne penche jamais vers le photogénique ou l'attrait affectif : ainsi l'absence de parole d'un bébé dans une poussette tient la même place que l'entraîneur de la salle. Au détour de conversations aléatoires, prises dans le vif de quelques moments, Boxing Gym donne à voir quelle place occupe la boxe dans le cœur de ces quelques citoyens américains. Il n'y a pas de défaillance au régime imposé par la caméra du documentariste et de son équipe : celle-ci tourne sans arrêt, en recul, comme une loupe au travail, saisissant fugacement tel ou tel moment pour dessiner les contours d'une civilisation variée qui forme l'Amérique elle-même. Et la boxe de devenir paradoxalement un îlot de paix dans lequel se joue l'évasion du quotidien et de sa violence, l'envie de tout miser sur sa puissance physique jusqu'à atteindre une transe totale que le regard capte en étant forcé à observer les choses dans leur vérité profonde. Wiseman ne déforme pas les faits, il nous pousse à les regarder sous un angle que l'on oublie quotidiennement, celui de la répétition et de la fixation.
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Les plans rapprochés sur les pieds sautillants d'un boxeur deviennent, au bout de quelques secondes, les tableaux mouvants d'une rythmique tribale à travers laquelle le boxeur échappe à sa condition imposée en dehors de la salle de boxe. Et de celle-ci Wiseman ne s'en défait jamais ; tout le monde est convié à cet échange idyllique qui masque sa beauté sous des apparences barbares de sueur et de bruit. Boxing Gym éduque le regard, comme depuis longtemps avec Wiseman, et le plus étonnant semble être l'absence de maltraitance envers le spectateur. À force de répétition, le système n'abrutit pourtant pas ; il nous hypnotise volontiers avec la magie sorcière d'un cinéaste qui sait cadrer ce qui ravivera à chaque séquence notre intérêt. Toute l'œuvre est construite de cette manière, restreinte dans ce lieu symbolique d'une Amérique révoltée mais douce, rebelle et tendre. On y entend résonner les tragédies externes (une fusillade racontée de façon neutre dans un dialogue qui néglige la violence) sans jamais voir à travers la fenêtre. Seuls les derniers plans crépusculaires laissent s'évader la ville d'Austin comme si celle-ci avait été ciblée, atteinte, épuisée et par-là même conquise dans sa globalité par le regard attentionné que porte Wiseman sur les sujets humains qui la peuplent. Boxing Gym ressemble alors à une parenthèse hypnotique d'un bout à l'autre, dont la force principale est de découvrir une face cachée et oubliée de la boxe tout comme des Etats-Unis. Le Texas devient alors un lieu d'échanges où, sans distinction, Noirs, Blancs, Latinos, enfants, seniors, femmes enceintes dialoguent comme si tout cela était bien plus que des Etats unis. Et ainsi, dans cette parenthèse magique relevant de l'utopie, de révéler les trésors humains enfouis au cœur d'une salle de boxe aussi vaste que le pays qui la porte. Jean-Baptiste Doulcet
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1h31 - Etats-Unis - Documentaire |