Visage
Face

de Tsai Ming-liang
Sélection officielle
palme

Sortie en salle : 04 novembre 2009




Un Taïwanais à Paris

« C’est un piège ! » s’exclame Jeanne Moreau, se retrouvant seule avec Nathalie Baye et Fanny Ardant à la table du grand dîner de gala. En effet Visage est tout entier un piège, auquel on se laisse prendre, ou pas. Tenter la critique de ce film bordélique en est un autre.

Une chose est sûre : Tsai Ming-liang y appose sa signature dès la magnifique scène d’ouverture dont la diluvienne fuite d’eau nous ramène onze ans en arrière dans l’univers déjà intrigant de The Hole.

Nous quittons rapidement Taipei et l’appartement de la mère malade du réalisateur Kang pour rejoindre Paris, où il tourne Salomé au musée du Louvre. Kang, ne parlant ni français ni anglais, ce qui ne facilitera pas la tâche déjà ardue de sa productrice Fanny, a tenu à ce que le roi Hérode devant lequel Salomé dansera soit Jean-Pierre Léaud, dont, c’est bien connu, le prénom est Antoine et auquel il voue une admiration sans borne.

Et nous voilà très vite embedded dans les 400 coups que Tsai Ming-liang va mettre au service d’un projet pour le moins excentrique et fantasmagorique, selon le procédé bien connu du film dans le film, dont nombre de plans sont tournés aux Tuileries. Car du Louvre, on explorera plutôt les dépendances et souterrains.

C’est peu dire que, dès le début et tout au long du tournage, les problèmes de tous degrés d’importance vont s’accumuler et provoquer maintes interruptions : rendez-vous manqué, perte de talons-hauts dans la neige, disparition du cerf Zizou pour période de brame… Mais c’est surtout la mort de la mère de Kang qui terrasse le cinéaste, désormais frappé d’un immobilisme et d’une incapacité à se rendre aux obsèques, auxquelles Fanny est délégué. Hérode/Antoine s’improvisant alors Grand chef Apache, consacre Titi, petit moineau frigorifié, grand réalisateur…

Ce sont ces entractes qui ménagent au film ses instants de grâce, dont les danses et chants de l’envoûtante Salomé (Lætitia Casta totalement inspirée et libre d’être belle), mais surtout la plongée dans le monde truffaldien de Fanny à Tapei, où, comme un cadeau, un jeu de photos réinvente le travelling suivant le petit Doinel sur la plage des 400 coups. L’osmose du trio Truffaut-Léaud-Ardant génère alors une indicible tendresse. échappées burlesques également lorsque Antoine fait irruption par la trappe basse d’une galerie du Louvre, au milieu de la représentation du Mythe de Salomé et du Saint Jean Baptiste de Vinci, composant le triptyque le plus atypique qui soit.

Truffé – c’est plus que jamais le cas de le dire – de référence au grand disparu, Tsai Ming-liang, bruiteur hors pair et sacrifiant à sa marotte des éléments (eau, neige, glace, feu…), entraîne ainsi le spectateur dans un Tourbillon de la vie, dans un jeu de visages et de miroirs, où se mêlent les hommages à sa mère, au cinéma (Orson Welles), aux acteurs dont il cible l’angoisse, la solitude, les nerfs à vif, où encore la brève apparition d’Amalric semble ressusciter Gainsbourg.

À noter que Visage est une commande du musée du Louvre, qui a invité Tsai Ming-liang à exercer son regard sur la célèbre institution parisienne afin d’inscrire cette réalisation à ses collections. De visu, préciser que le Louvre a laissé toute liberté d’expression au cinéaste pour créer cette transcendante œuvre d’art et d’amour est plus que superflu.

Marie-Jo Astic


2h09 - Chine, France- Scénario : TSAI Ming-liang - Interprétation : Laetitia CASTA, Fanny ARDANT, LEE Kang-sheng, Jean-Pierre LEAUD, Jeanne MOREAU.

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