Vicky Cristina Barcelona
de Woody Allen
Sélection officielle
Hors compétition

palme

Sortie en salle : 08 octobre 2008




L'amour en Espagne, ou les satisfactions amoureuses et érotiques du tourisme

Voilà une œuvre majeure du Festival de Cannes qui aurait largement pu se retrouver en compétition cette année. Comme si Woody Allen était à tout jamais maudit et invité un peu plus comme une ''Star'' censée faire bel effet dans la carrosserie du festival plutôt que la venue d'un artiste véritable et immanquable. L'un des derniers maîtres de la comédie signe en effet une romance sensuelle et drôle articulée autour de quatre personnages (dont trois féminins). Filmée dans des éclats jaunes, montée au ralenti pour accentuer le rythme langoureux des guitares d'Espagne, la ballade charmante et bucolique d'un Allen étourdi par les paysages d'Europe constitue un des temps forts de sa carrière puisqu'elle lui permet d'exprimer à la fois tous les fantasmes accumulés dans son langage jusque-là (amours saphiques, triolisme, accession parfaite de l'amour mêlé à l'art), mais aussi d'échanger quelques personnages avec des précédents, notamment Scarlett Johansson faisant indubitablement penser à la non-satisfaction amoureuse d'Allen lui-même dans ManhattaVicky Cristina Barcelona n'est pas ce qu'on pourrait appeler le sommet de sa carrière, tout simplement parce qu'il ne s'agit pas de son meilleur film ni d'un pandémonium où la lisibilité de toute sa carrière pourrait fleurir. Il s'agit juste d'un très bon Woody Allen, comme au bon vieux temps, sensuel plus par les mots que par les corps (sans cesse évités, d'où une certaine frustration), magnifiquement enrobé par les rayons noirs d'une Espagne vivifiante et sans lois, où vivre semble être un agréable passe-temps.
Plus l'histoire s'emmêle et Allen de retarder l'inévitable fusion des personnages (tout comme la frustration archi-comique de la coupe nette qui tombe d'on ne sait où lors de la première scène d'amour qui s'annonce pourtant magnifique), plus la tension et le charme montent, puis explosent. Pourtant, la fin, comme gênée d'en avoir trop fait, se replie sur elle-même puis s'efface aussitôt, comme un regret. Dommage que le cinéaste américain n'ait pas eu l'audace de gravir jusqu'en haut la légèreté dont il a fait preuve pour la transcender. Il y a évidemment une phase de profondeur sous la légèreté apparente, notamment dans les relations vénéneuses qui s'installent entre tous les personnages, mais ce chapitre final clôt un peu trop froidement la vertigineuse élancée érotique du cinéaste.


Mais il ne faut pas oublier de reconnaître à Woody Allen, encore une fois, tout son talent pour la mise en scène, ou plutôt la mise à nu de sentiments audacieux et à l'inverse des normes. Enrobée comme dans du miel chaud, teintée de flaques dorées qui font surbriller l'esthétique estivale et nocturne du film, la caméra suit et dessine par petites touches des personnages dont on boit toutes les humeurs et les vicissitudes. Au cœur de l'été et au cœur des femmes, Woody Allen réalise un magnifique film sur la naissance de l'amour libre, en dehors des conventions, sur l'expérience riche que provoque l'improvisation des sentiments les plus forts. Soutenu par des acteurs au meilleur de leurs formes (Scarlett Johansson est d'une sensualité provocatrice à faire palir tous les hommes, tandis que Penélope Cruz fusionne à merveille dans un rôle contraire et hystérique, mais d'une même sensualité) que le réalisateur ne peut s'empêcher de magnifier même dans leurs plus viles postures, Vicky Cristina Barcelona s'apparente à une douce noyade des charmes, peuplée de sirènes exotiques et utopiques, le goût des fruits et du vin dans la bouche; toutes les invraisemblances scénaristiques prennent, comme d'habitude chez Allen, l'évidence la plus naturelle, à l'instar de la forme sensuelle et sans retour du corps d'une femme, qu'il chemine, caresse et contemple.

EN DEUX MOTS : Woody Allen est amoureux, et tant mieux. Offrant parmi les meilleurs rôles de leur carrière à ces quatre acteurs uniques (dont la superbe révélation Rebecca Hall), le plus grand réalisateur de comédie encore vivant réussit à réouvrir son passé cinématographique et humain pour mieux le canaliser. En ressort une romance magnifique et pulsée aux sons vibrants des guitares catalanes. Une sensualité qui tient plus dans les mots que dans les corps, dont le seul esquissé se retrouvera dans la forme que le cinéaste donne à son film, par ailleurs son plus charmant (charmeur?).

LA PHRASE DU FILM : "Seul l'amour non satisfait peut être romantique."

Jean-Baptiste Doulcet


1h36 - USA / Espagne - Scénario et dialogues : Woody ALLEN - Photo : Javier AGUIRRESAROBE - Décors : Alain BAINÉE - Musique : - - Montage : Alisa LEPSELTER - Son : Peter GLOSSOP - Interprétation : Javier BARDEM, Patricia CLARKSON, Penélope CRUZ, Kevin DUNN, Rebecca HALL, Scarlett JOHANSSON, Chris MESSINA.

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