« Des amputés du cœur qui ont trop ouvert les mains »
Ce premier film réussi de Pierre Schoeller conte Versailles d'une manière bien différente de Guitry, le château constituant ici la vue qu'en ont ceux qui, comble de l'ironie et du décalage, ont échoué dans la forêt à deux pas de là.
Là où laissés pour compte de la société, révoltés contre elle ou non-réinsérables mènent une vie de château, qui pour non exempte de dignité qu'elle soit, confine à l'état sauvage.
C'est là aussi que finissent par échouer Nina et son petit Enzo, entrant de plain-pied dans le domaine de Damien, lequel connaît sur le bout des doigts les arcanes de l'assistanat social et le cercle infernal dans lequel il plonge ses ayants-droit.
Cela fait longtemps que lui et ceux de Versailles en ont fait le tour, soit qu'ils en aient épuisé toutes les maigres ressources, soit qu'ils aient décidé de s'en passer.
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Ses parents ont beau lui avoir répété toute sa vie qu'elle était « une merde », la situation de Nina ne serait pas encore tout à fait désespérée, si au moins elle n'avait pas la charge
d'Enzo. Elle va alors tout miser sur Damien, personnage pour le moins fascinant et brillant, en se séparant de tout ce qu'elle a au monde et en abandonnant Enzo aux “bons soins” du grand escogriffe, un rôle sur mesure pour Guillaume Depardieu.
Le fil de cette histoire, où Enzo l'enfant sauvage aura à son tour à faire les frais de la civilisation, où Damien acceptera « d'aller mieux », où Nina réussira à peu près sa réintégration, est construit comme un récit de guerre et de survie immédiate. Une histoire qui ne se terminera pas bien pour autant. Avec justesse et lucidité, le film pointe du doigt la vacuité et la vanité du système dans lequel les autres, les gens “normaux”, se laissent piéger.
Marie-Jo Astic
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