Surveillance
de Jennifer Lynch
Sélection officielle
Hors compétition

palme

Sortie en salle : 30 juillet 2008




Hiérarchie de la démence

L'Amérique des paumés. Des jeunes qui se droguent, des oiseaux morts sur le bord de la route. Des flics qui dérapent, qui abusent, qui déconnent. Des inconnus qui tuent, massacrent comme des tarés l'autre face de l'Amérique, la belle, l'angélique, blanchâtre et innocente. Fille de, Jennifer Lynch n'est pourtant pas lancée sur un chemin si proche de celui de son père. Passé un générique effrayant, à la fois grotesque et hystérique parce qu'il sonne trop comme un héritage paternel, cette enquête sur un mystérieux meurtre dérive vers un thriller pur, ultra-efficace et pas des plus inutiles.
Formidablement monté et interprété, cette course à la vérité prend le spectateur par la nuque et le force à regarder crûment ce qu'il désire éviter. C'est dans cette description sans tabous d'un pays aux contours délabrés que Jennifer Lynch vise juste, avec une assurance et une décomplexion souvent drôle dans l'attirance et la vulgarité de projection de la violence. Certaines séquences, excessives, frôlent l'absurde tant la folie des personnages y ressort.
Le rythme, fondé sur une fusion constante entre plans calmes dialogués et reconstitution en flash-backs mouvants, crée une sorte de frénésie dans les liens temporels. Plus profondément, au-delà de l'esthétique magnifiquement granuleuse et accrocheuse, le film réfléchit à la question de hiérarchie. Des petits flics qui rêvent de pouvoir jusqu'au supérieur je-m'en-foutiste, et sans révéler la fin, en passant par le criminel un cran au-dessus et simplement fou de violence et de sexe mêlé, de nécrophilie et de voyeurisme, Surveillance pose la question de la transmission de responsabilité.
À force de gradation dans la démence émise par les personnages, le film arrive à l'inévitable point culminant ; si un simple flic est déjà fêlé, que les supérieurs sont plus gravement atteints encore, arrivé en haut, qu'en est-il du côté psychologique et comportemental du Président ?! Le parallèle n'apparaît pas dans le film comme une évidence, il n'est peut-être pas voulu et en tout cas certainement pas nécessaire pour apprécier l'intégralité du film ; mais comme la cinéaste s'amuse à dessiner avec une moquerie exagérée l'état actuel de l'Amérique (à tel point que le personnage le plus sensé est une enfant !), la question se repose vite sur le fondement du pays et ses dirigeants.


Amusée, Jennifer Lynch ne l'est sûrement pas au fond, et encore moins à la fin de son film, d'un désespoir cruel et diabolique, après l'étonnante révélation qui vient s'extraire de l'alternance scénaristique – par ailleurs très bien dosée – entre passé et présent pour construire le futur. Un peu sous influence tarantinienne, plus que lynchienne en tout cas, notamment dans certains dialogues ou dans ce même plaisir de filmer une Amérique mineure, quoique loin d'être drôle comme chez Tarantino, Jennifer Lynch signe un beau film amer et choquant qui, même s'il n'évite pas toujours tous les pièges de la gratuité malsaine dans sa représentation extrême de la violence, fait preuve d'une maîtrise formelle et scénique assez remarquable.
Les acteurs (dont les trop rares Bill Pullman et Julie Ormond), s'en donnent à cœur joie dans une fin délirante, débridée et incontrôlable, où se mêlent le plaisir de la chair dans sa propre répulsion et l'acte sexuel dans la mort, manège d'épouvante à la fois pathétique et irrésistiblement dramatique. La fin est malsaine, le début est malsain… et le reste est glauque. Pourtant, il y a une certaine nécessité à regarder de face ce monde qui se désagrège, pour tenter de comprendre qui se fait manipuler par qui et par quoi pour commettre des atrocités sans noms.

LA PHRASE DU FILM : "I know who you are..."

Jean-Baptiste Doulcet

 


1h38 - USA / Allemagne - Scénario et dialogues : Jennifer LYNCH, Kent HARPER - Photo : Peter WUNSTORF - Décors : Andrea SPAKOWSKI - Musique : Todd BRYANTON - Montage : DARYL K. DAVIS - Son : Rob BRYANTON - Interprétation : Pell JAMES, Julia ORMOND, Bill PULLMAN, Ryan SIMPKINS.

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