Sang pour sang
« Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais les familles malheureuses le sont chacune à leur façon », Tolstoï. Une phrase glaciale partie de Russie vers l’Argentine pour envelopper les corps chauffés à blanc de La Sangre Brota.
Long-métrage où la vérité jaillit avec le sang. Œuvre fébrile, inquiète et inquiétante qui arrache furieusement le vernis trop propre d’une famille rongée de l’intérieur. Tout est amour, non, tout est amer en profondeur. Les liens du sang rejoignent ceux de la dépendance : Leandro, le fils, à la drogue, Arturo, le père, à sa tranquillité, chacun sa drogue, chacun son enfer, chacun pour soi.
Pablo Fendrik monte son film tandis que ses personnages montent sur le ring de la vie : pour un ultime combat contre la fatalité, pour donner des coups, et en recevoir. Le réalisateur a choisi la violence, jamais montrée mais toujours présente, pour langage et les coups pour mots. A Buenos Aires, on parle avec ses poings. Crochet du droit à l’écran mais spectateur K.O. dans la salle, le souffle coupé. Pourtant, aussi fugace que le bonheur, la sensualité s’installe : deux doigts sur un cou blanc, à la peau lumineuse, et on respire à nouveau, après un uppercut d’émotions.
Mais ici, les acteurs ne sont pas des boxeurs mais des équilibristes, à l’image de leur personnage. Ils avancent, toujours sur le fil et sans filet de protection. Pourtant, ils ne basculent jamais dans le vide du mélodramatique : leur talent les retient et Pablo Fendrik est là pour les rattraper. Arturo Goetz et Nahuel Perez Biscayart, père et fils, dominant et dominé dans la fiction, égaux dans la justesse d’interprétation.
« Deviens celui que tu es »… Mais qui sont-ils, eux ? Qui sommes-nous, à les juger dans le noir d’une salle ? La Sangre Brota nous interroge ; on aimerait y répondre s’il n’y avait ce goût de sang dans notre bouche…
Mélanie Thoinet
Lycée Carnot de Cannes
Hémorragie oculaire
Arturo, chauffeur de taxi a deux fils. L’un vit chez lui, l’autre vit aux Etats-Unis et a besoin d’argent. L’intrigue un peu simplette de La Sangre brota sert de prétexte à la mise en œuvre d’une grande tension, une tension telle que nul ne peut y être indifférent. On aime, on n’aime pas, à chacun son choix.
Le père entretient des relations biscornues avec les personnages secondaires et qui ne sont pas forcément claires au long du film : entre sa femme et sa maîtresse qui jouent toutes les deux au bridge, le spectateur est un peu perdu ; le mafieux avide d’argent amène une pression supplémentaire au film qui n’est pas nécessairement utile ; mais ses relations avec son fils aîné (qui n’apparaît pas une seule fois à l’écran) sont tout aussi mystérieuses ce qui crée une confusion plutôt déroutante.
Le fils cadet, Leandro détient un rôle majeur dans ce film où tout évolue progressivement, notamment les rapports entre les protagonistes. Jeune homme aux yeux cernés, il apparaît comme la figure d’un univers perturbé : recherche du plaisir sexuel, prise d’ecstasy, expression de soi par le dessin… tout certifie qu’il est dans sa bulle. La musique est là pour le confirmer : une guitare électrique assourdissante, la rupture surprenante avec un silence angoissant, des sonorités brutales qui s’ajoutent à la dimension instable du personnage.
On note tout particulièrement l’usage de plans rapprochés et de gros plans qui, tels une loupe, accentuent chaque détail : ils traduisent la nervosité, la sensualité, l’agitation, en appuyant sur la visualisation plus précise des visages et des éléments présents.
La fin du film atteint le paroxysme d’une violence démesurée, et même absurde dans les rapports père/fils. Comme l’indique le titre, le sang est plus que présent dans ce film ; il ruisselle et dégouline de façon arborescente sur les visages inexpressifs des personnages souffrant. A travers une forte pression, le réalisateur Pablo Fendrik embarque le spectateur dans une spirale violente. On ressent la douleur morale des personnages. L’émotion est forte et quelques accords de piano soutiennent l’aspect délicat et passionnel, le tout ménageant un brin d’espoir sur un film, en grande partie angoissant.
L’action de ce film nous captive, grâce à des moyens cinématographiques étudiés mais, aussi et surtout, par l’émotion prenante qui émane des personnages et de leurs regards.
Siam Le Breton,
Lycée d’Artagnan de Nogaro
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L’argent… Dans ce quartier de Buenos Aires c’est un maitre mot, les esprits s’en encombrent. Quand on en possède, on le garde caché, on le glisse subrepticement dans un tiroir, de peur que ses propres enfants ne s’en emparent. Dans cette vie de misère s’est instaurée une violence glaciale, sans pitié. Pour les jeunes c’est le règne de la drogue et du sexe. Glauque à souhait…
La sangre brota, imprégné d’une ambiance urbaine, est un film coup-de-poing devant lequel le spectateur ne peut rester indifférent. Aux scènes filmées dans un taxi succèdent de longs plans de rue dans lesquelles les personnages évoluent, poussés par leur instinct. L’histoire se veut sans artifice, véridique, poignante de par les sujets abordés. Pourtant on peut y déceler une dominante malsaine, illustrée par les péchés capitaux, abordés à travers chaque personnage. Entre l’orgueil de Léandro et l’avarice de ses parents s’ajoutent des scènes dont la lascivité et la sensualité incarnent le péché de la luxure, dépeignant ainsi un tableau noir de l’humanité.
L’émotion est cependant magnifiquement transmise au spectateur à l’aide de plans rapprochés et de jeux de regards envoûtants qui nous plongent au cœur de la situation. Les histoires débutent séparément suivant leur propre cheminement jusqu’à s’entremêler, nous embarquant dans la dérive et la détresse de ces personnages. On devient éléments inhérents de l’histoire et on sentirait presque les pavés des trottoirs de Buenos Aires sous nos pieds.
Transportés du début à la fin dans ce quotidien, il est difficile de retourner à la vie réelle lorsque le générique défile. Le spectateur est bouleversé par la violence des dernières actions et ne remet pas aisément de l’ordre dans ses émotions. Un film fort…
Nadège Robin, Arnaud Schmitt
Lycée Jules Verne de Nantes
Sex, drugs, rock'n'roll... and lives :
Une guitare au son sale, "crâde" comme on dit. Tout semble crâde justement dans La Sangre Brota, à commencer par la scène qui ouvre ce film de Pablo Fendrik. Et le jeune Léandro (rôle que tient le prometteur Nahuel Perez) aux allures de rocker un brin bad boy, assez destroyed ; perdu loin des salles de concert, sa scène et des rues de Buenos Aires, crâde les rues.
En nous à la fin, on porte à l'évidence la marque du film, de ce qu'il dépeint et dénonce, transpire et transmet. Tout n'est finalement pas clair, défini : toutes les motivations, toutes les réactions, toutes les relations. Mais ce flou, cette retenue dans les explications contribuent à recréer à l'écran une réalité décousue, parfois absurde, toujours violente. Violence omniprésente même dans les rapports amoureux - entre Arturo (interprété par Arturo Goetz) et sa femme par exemple - ou sexuels : se prostituer semble naturel à une pré-adolescente pour aider sa marâtre de mère.
La première scène donne le ton du film en traduisant l'urgence et la promiscuité qui règnent dans les rues de Buenos Aires. Car la ville est le lieu unique de la vie, le lieu dédié de cette classe sociale pauvre mais en voie de moyennisation depuis la fin de la crise financière et monétaire de la fin des années 90. Et plus que la ville, c'est la rue qui voit évoluer ces fortes personnalités. Seul un caractère de battant et un désespoir de la vie les maintient dans la survie : la rue est aussi le lieu de la mort, de l'agonie.
Ce sont les liens de dépendance, d'opposition en vue de l'établissement d'une hiérarchie qui donnent toute sa force à ce second long métrage : une tension dans les rapports humains ; tension née de l'atmosphère glauque, du cadre dramatique intense, mais surtout tension vers un espoir commun. On accompagne les personnages dans leurs luttes, dans leurs haines et leurs attentes qui les font demeurer. Car c'est là leur qualité majeure, de demeurer, de persister. On comprend leurs dérives, on craint leur folie pour enfin aimer leur solidarité : on retient le message d'espoir, d'espoir en l'homme. Un film tout en sensualité, en nuances et plein d'une vie, d'une humanité souvent noire, mais aussi simplement belle : une réussite !
Auxence Moulin
Lycée Saint-Exupéry de Lyon
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