Afterschool
de Antonio Campos
Sélection officielle
Un certain regard


Sortie en salle : 01 octobre 2008




Oscillant entre le Elephant de Van Sant et du Haneke sur-millimétré, Afterschool s'impose comme une première œuvre majeure, réalisée avec peu de moyens et une maîtrise formelle rarement vue pour un premier essai. Si en général au cinéma le cadrage rigoureux a souvent tendance à pallier un manque de nuances ou de maîtrise scénaristique, ici il fait rage comme un substitut génial au confort d'un développement prévisible. L'utilisation du hors-champ ou la crudité d'une action qui se joue de face, tout ici est à lier à une analyse comportementale du milieu adolescent victime de ce qui l'entoure. Alliant la sobriété de ce qui est joué et la violence de ce qui ne l'est pas (vidéos piochées sur le Net), Antonio Campos joue d'un contraste sublime dans lequel sa création personnelle s'oppose par son captage aride à une réalité filmée en rythme, faussement ingénieuse et tout à fait artificielle (la comparaison est aussi à faire lors du film-hommage que le personnage, Robert, a monté sobrement, sans musique, avec grand respect, et celle, définitive, remontée par un professionnel, plus cohérente mais larmoyante et irrespectueuse). Afterschool parle de ce média quelconque qui dicte à l'homme la vue et la pensée commune. Le cinéaste dément ce geste, ce mensonge et ce conditionnement monstrueux en nous montrant comment l'innocence perturbée devient une folie communicatrice et sans limites. L'installation de caméras amateurs, de cinémascopes, de portables ou autres supports permet au réalisateur de varier l'image, la qualité, il permet, au delà du pouvoir d'un cinéma réfléchi, de ne plus mettre en scène pour prouver que toute captation audiovisuelle peut être une condamnation humaine, l'antre d'un voyeurisme sans retour. Cette observation crue, parfois étirée, passe d'une action ludique à une action tragique; ainsi le premier baiser avec Amy, filmé au caméscope, n'est pas de l'ordre du désir comme on peut le croire en premier lieu, mais plutôt l'application effrayante d'une scène pornographique projetée auparavant en tant que dénonciation. La scène de dépucelage, en pleine nature, elle, filmée en 35 mm, devient par contre une manière de renvoyer l'association pornographique, de l'oublier pour faire parler un désir pur et inoffensif. Antonio Campos, maître de ce qu'il veut que l'on voit, comme un surveillant de caméras de sécurité, n'envoie jamais une distance de sécurité. On plonge dénudés dans ce monde fou où l'image est une évasion totalitaire, non pas la transmission de données ou de plaisir inconnus, mais plutôt la manipulation du savoir comme une drogue. L'incroyable séquence de l'overdose, justement (et là on parle de drogue matérielle), évite tous les écueils du voyeurisme grâce à son support et au mensonge qu'elle propage elle aussi (voir la fin du film pour s'en convaincre, démentielle).



Plus Afterschool se concentre sur une laideur voulue, vecteur d'une peur quotidienne qui conduit à la folie ou à la mort, plus il est beau ; plus l'utilisation du caméscope s'étend, plus le film est passionnant, tout simplement parce que l'on ne sait jamais comment le réalisateur nous mène, à quel moment nous sommes dans le vrai ou dans le faux. La fin y répond superbement, toujours avec cette même sobriété de suggestion dans la mise en scène. La réduction du format nous transmet le travail d'un adolescent découvrant comment diriger une image alors que cette dernière, face à lui sur son ordinateur, le manipule. Elle devient le miroir d'une jeunesse qui plonge, les narines rouges et les yeux cernés, le miroir de l'image gouvernante, de la paranoïa, de la terreur et de la mort. Le voyeurisme n'a plus sa place dans Afterschool, tout étant justifié une scène après l'autre, et ainsi, ces images réelles qui ouvrent le film se font écho dans une séquence finale psychologique, un jeu de tension entre une caméra de surveillance et le jeune Robert, entre l'observation et l'inquiétude d'être observé. L'image a toujours le dernier mot.

EN DEUX MOTS : Époustouflante de maîtrise, cette leçon de mise en scène confirme l'excellence des sections parallèles cannoises. Rigueur formelle, réflexion explosive, acteurs épatants, et une économie de moyens qui laissent les images aller vers l'essentiel. Et c'est un premier film...

LA PHRASE DU FILM : "Ma peau s'écaille."

Jean-Baptiste Doulcet

 

 

2h02 - USA - - Scénario et dialogues : Antonio CAMPOS - Photo : Jody Lee LIPES - Décors : Kris MORAN - Musique : - - Montage : Antonio CAMPOS - Son : Terressa TATE, Micah BLOOMBERG - Beatrice - Interprétation : Emory COHEN, Rosemarie DEWITT, Ezra MILLER, Michael STUHLBARG, Addison TIMLIN, Jeremy WHITE, Gary WILMES.

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