L'Avocat de la terreur
The Terror's advocate
de Barbet Schroeder
Sélection officielle
Un certain regard




palmeEn s’intéressant à la figure ambiguë de Jacques Vergès, Barbet Schroeder aurait très bien pu se limiter à un brûlot démagogique, le procès (somme toute gagné d’avance) de l’avocat du diable. Mais Schroeder n’est pas Michael Moore et il a su trouver la distance nécessaire pour montrer la complexité de son personnage et mener son enquête en toute objectivité. C’est là toute la force de ce film-documentaire admirablement construit et qui use habilement du pouvoir dramatique de la partition musicale.
A côté des témoignages d’historiens et de proches de l’avocat ou encore d’images d’archives soigneusement choisies,  L’Avocat de la Terreur  s’appuie en grande partie sur les nombreux entretiens passés entre le cinéaste et Jacques Vergès. A plus de quatre-vingt ans, ce dernier n’a rien perdu de sa verve et nous gratifie de phrases choc ou de propos désinvoltes... mais ne plaide jamais coupable. Le début de la carrière de cet enfant de la colonisation est marqué par une love story avec Djamila Bouhired, poseuse de bombes du FLN, figure de proue de l’indépendance algérienne et qu’il a sauvée de la peine de mort. La suite est beaucoup plus obscure et terrifiante. Vergès n’a pas hésité à côtoyer et défendre des terroristes de tous bords, des dictateurs, des nazis, des négationnistes.


Derrière le mystère Vergès, se cache une question essentielle. Ce jusqu’au-boutisme à défendre l’indéfendable est-il uniquement l’expression de convictions personnelles ou est-ce un moyen détourné pour accéder à la reconnaissance ? A l’entendre, par exemple, parler de son implication dans le procès de Klaus Barbie, il est indéniable qu’il a trouvé dans la polémique une voie formidable pour se faire entendre et exister. Il s’est lui-même construit un personnage médiatique dont il maîtrise toutes les ficelles et derrière lequel il se protège. Car l’homme parle trop bien de lui pour se montrer toujours sincère. La vérité, il la dissémine selon son envie, passant délibérément sous silence des zones d’ombres, telle que sa disparition de huit ans dans les années 70. Parfois aussi, l’acteur se fait prendre à son propre jeu comme lorsque sur le plateau d’une émission de télévision, il manque de conviction à jurer qu’il n’a jamais été un proche de Carlos.
Schroeder mène son enquête, cherchant à combler les manques laissés par son interlocuteur tout en ayant parfaitement conscience qu’il n’aura jamais toutes les clés en main. Et à défaut de tomber entièrement le masque, Vergès devient un merveilleux point d’ancrage pour une radioscopie dense et passionnante de quarante ans de terrorisme mondial.

Nicolas Maille


palmeUn documentaire de plus de deux heures sur l'une des figures les plus médiatisées et controversées du système judiciaire français pouvait laisser présager le meilleur comme le pire. Avec Barbet Schroeder aux commandes, le pari est amplement gagné.
Ni hagiographie (la personnalité ne s'y prêtait guère), ni fascination ambiguë (à l'instar de Leni Riefenstahl, le pouvoir des images, 1993), ni pamphlet de dérision (on est loin du portrait au vitriol qu'un Michael Moore avait fait de Roger B. Smith, Président de General Motors), le documentaire n'est cependant pas neutre.
Le cinéaste utilise un montage intelligent pour titiller l'esprit critique et porter un contrepoids aux propos étonnants de l'avocat. Dès la première séquence, le ton est donné et Vergès minimise les atrocités commises par les Khmers Rouges au Cambodge, tenant un discours à la limite du négationnisme, infirmé par la juxtaposition de photos du génocide. Didactique (de nombreuses notes en bas d'écran apportent des précisions historiques, politiques ou chronologiques), le film est captivant comme un thriller d'espionnage, et il ne serait pas surprenant que la vie de ce juriste singulier devienne un jour le scénario d'une fiction filmée : comme dans un roman de John Le Carré, nous voyageons d'Alger à Paris, de Pékin à Jérusalem, de Phnom Penh à Budapest, et les témoignages parfois pittoresques (le dessinateur Siné), parfois effrayants (le terroriste Carlos lors d'une interview téléphonique) reviennent de façon récurrente. Des personnages inquiétants (tel cet ancien nazi suisse finançant des organisations terroristes arabes) créent un trouble beaucoup plus grand que Da Vinci Code et l'on imagine déjà un Willem Dafoe incarnant cette silhouette lugubre. Mais nous ne sommes pas encore dans la fiction et Vergès (le vrai) se la joue star.


Curieux parcours que celui de ce Français né au Cambodge, qui revint au devant de la scène lors du procès de Klaus Barbie puis du gratin des dictateurs contemporains. Connu dès 1956 pour avoir défendu Djamila Bouhired, poseuse de bombes du FLN, dont il obtiendra la grâce présidentielle, et qu'il épousera après l'indépendance algérienne, il deviendra successivement maoïste, pro-palestinien, et surtout ami de Pol Pot, ce qui fera circuler les plus folles rumeurs à l'occasion de la disparition de l'avocat, entre 1970 et 1978. Ce « trou » de huit années dans son CV, dont on n'obtiendra aucun éclaircissement dans le documentaire, contribue à renforcer la légende d'un homme aux confins de l'héroïsme et de la compromission douteuse.
La vie privée de Maître Vergès n'est pas occultée (ses sentiments amoureux envers Djamila Bouhired puis Magdalena Kopp, défendue dans les années 80, et qu'il tenta de ravir à Carlos.) Cela humanise un peu une figure guère sympathique, en dépit de son humour pince-sans-rire et de son intelligence, indéniable. Voulant porter jusqu'au bout la logique du siècle des Lumières (défendre l'indéfendable au nom de l'équité de la justice), mais décrédibilisé par sa tolérance envers la violence politique (le parallèle résistance/terrorisme), le vieil homme pas toujours digne a en tout cas une personnalité hors pair. Le mérite de l'œuvre de Barbet Schroeder est d'en dresser un portrait sans complaisance, tout en signant un véritable objet de cinéma.

Gérard Crespo


2h15 - France - Scénario et dialogues : - - Photo : Caroline Champetier, Jean-Luc Perreeard - Décors : - - Musique : Jorge Arriagada - Montage : Nelly Quettier - Son : Yves Comeliau, Beatrice Wick, Dominique Hennequuin - Interprétation : -.

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