Belle surprise que ce troisième long métrage en tant que cinéaste de l'acteur Gaël Morel, révélé en 1994 dans Les Roseaux sauvages d'André Téchiné et dont la première réalisation (À toute vitesse) n'avait guère convaincu.
La filiation avec Téchiné est manifeste. Outre la présence d'Elodie Bouchez, c'est bien sûr Catherine Deneuve qui apporte avec ce rôle dramatique les fêlures des personnages de Hôtel des Amériques, Ma saison préférée, Les Voleurs, et surtout de Lili dans Le Lieu du crime. L'analogie avec cette œuvre de 1986, un peu méconnue dans la filmographie de Téchiné, est saisissante : même caractère de femme normalisée, intégrée dans sa famille (malgré un divorce) et son travail (la tenancière de discothèque est devenue libraire.) Même ex encombrant et maladroit (Guy Marchand semble cependant plus serein que Victor Lanoux.) Même drame déclenché par le comportement du fils. Si Thomas (Nicolas Giraudi) échappait de justesse à la mort, Mathieu (Adrien Jolivet) est tué dans un accident de la route après dix minutes d'exposition. La relation amoureuse de Deneuve avec Martin (Wadeck Stanczak) laisse ici place à une attirance ambiguë envers Franck (Thomas Dumerchez), meilleur ami du fils et responsable de l'accident automobile fatal. En 1986, Lili/Deneuve échappait à son mal de vivre en nouant une passion amoureuse avec un criminel ; en 2007, Camille/Deneuve trouve un fils de substitution en la personne de celui qui a involontairement créé son malheur. Même environnement familial (Danielle Darrieux, la mère en 1986 / Elodie Bouchez, la fille en 2007), cherchant à la remettre dans le droit chemin de la bienséance.
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Le scénario, adroit et efficace, fait la part belle aux tensions psychologiques. La collaboration avec Christophe Honoré s'avère judicieuse, et l'écriture de ce dernier séduit davantage que pour ses propres films. Le non-dit des dialogues et des situations est en outre assez subtil et évoque également celui du Téchiné des années 80 : quelle était la nature exacte des relations entre Martin et Thomas, que l'on voit travestis et maquillés par la mère avant la tragédie, au début du film ? De même, que les rapports entre Stanczak et Adelin jouaient sur l'équivoque dans Le Lieu du crime, Gaël Morel brouille les pistes et introduit une improbable petite amie en milieu de récit.
La mise en scène de Morel cherche cependant à se distinguer de Téchiné : davantage de travellings et de plans-séquences. Soulignons que le jeune cinéaste a évité les afféteries de sa première fiction, et manie avec finesse les nuances de l'épure et de l'ellipse.
On regrettera un inutile dénouement portugais mais ce film est significatif d'un certain romanesque français, tout de lyrisme et d'émotion contenue.
Gérard Crespo
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