Norway of Life |
Dès le premier plan le ton
est donné. Deux bouches s'embrassent mais le regard est absent, l'émotion
n'est pas là. Dans un métro dépeuplé, des trains sans destination permettent à un
homme de se suicider. Flash back, quittant un passé dont il veut effacer
le souvenir, Andréas, seul dans le bus, arrive dans cette ville où tout
l'attend : sourires bienveillants, travail et logement. Mais l'adaptation
est difficile dans ce meilleur des mondes où le bonheur parfait s'obtient
au détriment d'une perte de plaisir. Qu'importe-t-il donc dans la vie
de ces nouveaux citadins ? Le bonheur d'une vie trop bien réglée où Ikea
devient le temple du design scandinave ; ou la recherche des plaisirs.
Sensualité, sexualité et émotions s'absentent au profit d'une réussite
sociale pour tous. Tous non puisque même dans cet enfer moderne, où sens
de la vie et plaisir des sens n'ont plus leur place, subsistent des inégalité sociales.
C'est dans cette vision sans compromis de la nature humaine que réside
l'originalité d'un film apparaissant somme toute comme le melting pot
assez conventionnel de différentes œuvres contres utopiques. De Paris,
Texas à 1984 en passant par l'absurdité kafkaïenne d'un univers façon
Lynch, le réalisateur Jens Lien n'en finit pas de puiser chez
les grands d'hier et d'aujourd'hui. Contre utopie bien sûr dans ce film
puisque
tel Patrick Mc Gohan, Andréas est le prisonnier d'un univers clos et
froid dont il est impossible de s'échapper. La mort même n'est pas une
issue. En effet comment peut-on mourir dans une société parfaite où toute
humanité a quitté depuis longtemps le corps de l'homme.
|
L'homme
est remis en cause, non pas dans la capacité de quelques-uns à imposer
dictature et soumission mais dans la lâcheté de tous à perdre dignité et
humanité. |
Sur
le quai d’un métro
situé nulle part, un couple de jeunes s’embrasse les yeux
ouverts, le corps raide, sans aucun sentiment et dans une lumière
surnaturelle, très désagréable : la première
scène nous plonge ainsi dans l’esprit du film.
En effet, aucun des personnages ne paraît échapper à cette déshumanisation. Le jeu d’acteur, très maîtrisé, s’emploie parfaitement à ne montrer aucune émotion. Le décor renforce cet univers glacé et aseptisé. La ville ressemble à un hôpital aux couloirs stérilisés, aussi glauque et impersonnel. Jens Lien utilise des plans simples et précis (caméra fixe, cadres horizontaux…) pour rendre adéquats le fond et la forme. De même il dépouille les dialogues de toute profondeur et de toute humanité. Le bonheur se dit comme il se voit, il est mécanisé. |
Andreas,
le personnage principal, introduit dans cette société sans
l’avoir choisi, s’habitue peu à peu à cette
vie «idyllique» et
même y prend goût. Pris au piège par son amour des femmes
et leur docilité, il finit par prendre conscience de ce bonheur factice
et dès lors cherche à redécouvrir les plaisirs simples de
la vie comme le goût du cacao ou le visage d’un enfant : est ce que
ce retour à la vraie vie n’est pas suggéré par la
fente symbolique dans le vieux mur qu’il découvre? |
Désert.
Un homme sort d’un bus mystérieux : Andréas, il
semble perdu. Un homme l’accueille en lui disant « Tout
est prêt pour vous. » Il l’amène ensuite
dans une ville civilisée…
L’homme gênant est le deuxième long métrage du réalisateur norvégien Jens Lien. Ce film mélange plusieurs genres : comédie, drame et surtout fantastique. Il critique la société nordique actuelle qui dans sa quête de la perfection a oublié le plus important : les émotions et le goût de la vie. La société «parfaite» qui nous est montrée est en réalité une société aseptisée et froide, les couleurs dans les teintes gris-bleu nous le montrent. Cette vision de la vie matériellement confortable se reflète aussi à travers les conversations absurdes et futiles entre les personnages (la couleur des murs ou encore les différents meubles) et à travers les relations hommes-femmes. |
En
effet, la première femme qu’Andréas fréquente
ne s’intéresse à lui que pour se faire bien voir
et la deuxième adopte un comportement très masculin (refus
de s’engager dans une relation sérieuse, ne s’intéresse
qu’à l’aspect matériel …). Les scènes
très violentes sont là pour représenter le désir
d’Andréas de s’échapper de cette société.
Il se met à rechercher la lumière qui lui manque tant.
Le trou dans le mur devient alors une obsession celui-ci peut en effet
faire penser à un sexe féminin : il représente
alors la féminité et la renaissance (une vie où les
enfants ont leur place). |
Non-sens
Un homme arrive dans un hôtel planté dans un décor désertique. Il ne sait d’où il vient, il sait juste qu’il s’appelle Andréas. Bienvenue dans ce monde où les objets ont plus de poids que les sentiments, Andréas. Sa première conquête est spécialisée dans le design des cuisines et ne voit en lui que des bras, tandis que la seconde ne pense qu’à posséder une baignoire. Andréas, qui arrive à saturation de ces gens aux expressions robotiques, tentera de se suicider, non loin d’un couple s’embrassant mécaniquement, qui ne tentera même pas de le sauver. Après maintes tentatives, voyant qu’un objet, le train, lui refuse le droit de mourir, il se relève à la façon d’un pantin désarticulé pour se diriger vers la lumière. Juste après, le spectateur le voit cerné par de hauts immeubles, cette image résume bien le film, on distingue nettement la domination des objets sur l’homme, ces mêmes objets, qui ont transformé les gens en machines, en robots. Le spectateur retient aussi la violence des images lors du suicide, une violence exacerbée faisant écho à la torture intérieure qu’Andréas subit. |
Enfin,
le personnage perçoit une musique qui provient d’une fente éclairée
dans un mur, lui redonnant espoir. Le
personnage ne se raccrochant plus qu’à cela, tente par-dessus
tout de creuser le mur à la recherche de cette lumière
qui paraît inaccessible. Il n’a que le temps d’entendre
des cris d’enfants et de saisir un morceau de gâteau avant
d’être arraché à toutes ces sensations par
une police secrète. Celle-ci, à la manière des ‘‘effaceurs’’ d’Orwell,
se débarrasse d’Andréas, l’homme gênant,
n’est-ce pas d’ailleurs le titre choisi par Jens Liens
? Est-il nécessaire de préciser que les enfants, les
goûts, les couleurs sont totalement anesthésiés
dans ce monde aseptisé où Andréas évolue
? |
1h30 –- Norvège - Scénario : Per Schreiner - Image : John Christian Rosenlund - Son : Christian Schaanning –- Décors : Are Sjaastad - Montage : Vidar Flataukan - Musique : Ginge - Interprètes : Trond Fausa, Aurvag Petronella Barker, Per Schaanning, Birgitte Larsen, Johannes Joner. |