Akira
(12 ans) : « Quand nous laisseras-tu aller à l'école ?
La Mère : - Encore cette histoire d'école ! Tu n'as pas besoin d'y aller
! Il y a des tas de gens qui sont devenus célèbres et qui ne sont jamais
allés à l'école.
Akira : - Tu es vraiment égoïste, maman.
La Mère : - Tu as vu comment tu me parles ? Tu veux savoir qui est le plus égoïste
? Eh bien c'est ton père qui est parti en me laissant toute seule.
Akira est
l'aîné de quatre enfants, deux frères et deux sœurs, tous de pères différents
qui ont aménagé avec leur mère dans un modeste appartement d'un quartier populaire
de Tokyo. Pour y loger, la mère est contrainte de cacher au propriétaire trois
d'entre eux pour qui il n'est pas question de se montrer sur le balcon ou
de partir à l'école.
Un jour la mère disparaît (peut-être avec un nouvel amant)
laissant les enfants livrés à eux-mêmes. Par peur d'être confiés aux services
sociaux, ils décident que personne ne doit savoir…
A partir d'un fait divers étant
réellement survenu au Japon, Kore-Eda, cinéaste intimiste dont c'est le quatrième
long-métrage*, développe dans Nobody knows une chronique attentive
de la vie de ces quatre enfants condamnés à survivre par leur propres moyens
dans la grande ville.
Le réalisateur traite cette histoire tragique de manière distanciée et privilégie
le comportement sur la psychologie. Kore-Eda construit son histoire de manière
impressionniste : pas d'intrigue à proprement parler, mais une succession de
moments, de micros événements juxtaposés.
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A
cela s'ajoute une absence volontaire de dramatisation : la dégradation
des conditions matérielles se repère à l'appartement envahi peu à peu
d'immondices ; la détresse qui gagne les jeunes abandonnés à un regard
un peu plus las. Les enfants
sont filmés au plus près dans l'appartement ou au contraire en groupe
et en plan d'ensemble lors de leurs échappées en ville. Avec de tels
partis pris, Nobody knows n'évite pas une certaine froideur.
Mais le déficit d'émotion est racheté par l'indéniable qualité du regard
porté sur les personnages, minutieusement dépeints.
Le réalisateur dirige avec brio ses jeunes interprètes, tous non professionnels.
Et l'on peut être surpris que le jury ai tenu à distinguer le jeune Yagira Yuuya
(Akira) par un prix d'interprétation, tant sa prestation est indissociable de
celles de ses partenaires.
Si ce travail très abouti avec les enfants-acteurs est au cœur du projet, Nobody
knows n'est pas exempt pour autant de critique sociale. Dans un monde farouchement
individualiste, face à l'égoïsme ou à l'indifférence des adultes, les nouvelles
générations, orphelines de leurs aînés, semblent condamnées à se débrouiller
sans eux. Terrible constat.
Pierre Soubeyras
(*) le précédent, Distance, fut présenté en
compétition à Cannes en 2001.
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