Uzak Nuri Bilge Ceylan Sélection Officielle Grand prix Prix d'interprétation masculine pour Muzaffer Ozdemir et Mehmet Emin Toprak |
Après
avoir trop longtemps brillé par son absence à Cannes, que ce soit en compétition
officielle ou dans les sections parallèles, le cinéma d'auteur turc viendrait-il
remontrer le début de son œil au regard si aiguisé, et annoncer on l'espère,
un renouveau. Ce cinéma, « mal connu » selon l'expression consacrée, à la
naissance tardive (premier film documentaire turc en 1914), au développement
lent, a pourtant vécu des années opulentes (plus de trois cents films produits
en 1972 !) avant d'amorcer un déclin qui s'installe peu à peu dans la durée.
Paradoxalement, la libération économique du régime muselle les auteurs, alors que les coups d'Etat se succèdent et que la dépolitisation du pays est en marche. Le paysage audiovisuel explose et le seul réseau hertzien diffuse sur plus de douze chaînes de télévision des dizaines de films turcs quotidiennement. Cependant, le cinéma turc, malgré une conjoncture difficile, garde espoir grâce aux efforts d'une jeune génération de réalisateurs persévérants et à un public cinéphile de plus en plus exigeant. Nuri Bilge Ceylan fait partie du renouveau de ce cinéma d'auteur. On avait pu déjà apprécier Nuages de mai, film très personnel au scénario ténu et au filmage marqué par le plan-séquence. Pour Uzak (lointain, éloigné), son troisième film, cet ancien photographe de 44 ans relègue, question tempo, Angelopoulos au rang de réalisateur de clips vidéo ! Mais c'est plutôt du côté de Tarkovsky que l'on pourrait trouver une filiation ; Tarkovsky qui est cité dans Uzak lors d'un zapping drolatique entre Stalker et un film X (une manière de rappeler que la censure turque, si rude et tatillonne avec les sujets politiques, se laisse détourner sans trop de résistances lorsqu'il s'agit de faire le bonheur des foules masculines…). |
Cette lenteur
alliée à la fixité presque constante des plans va accompagner d'une rêche
beauté les errances intérieures et extérieures des deux personnages Mahmut
et Yusuf. Le premier est un intellectuel photographe de la bourgeoisie
moyenne d'Istanbul, dont les désillusions abyssales font écho à la hauteur
des talents qu'il n'a su développer… Le second, chômeur rural un peu rustre
et buté, quitte sa province et vient s'installer chez son cousin Mahmut,
afin de trouver un job sur un bateau en partance pour l'étranger. La confrontation
du « Turc des villes » et du « Turc des champs » va se dérouler au fil
d'un temps qui s'étire, dans l'appartement de Mahmut (l'appartement du
réalisateur), lieu centripète du film. Les évasions de l'un, les errances
de l'autre ainsi que leurs échappées communes seront, elles, baignées
par la lumière hivernale d'Istanbul, tantôt grisâtre et pluvieuse, tantôt
neigeuse et ouatée, sous les accords paradoxaux d'une symphonie concertante
de Mozart… |
1h50 - Turquie - Scénario et dialogues, images, décors : Nuri Bilge Ceylan - Montage : Ayhan Ergürsel, Nuri Bilge Ceylan- Interprétation : Muzaffer Özdemir, Mehmet Emin Toprak, Zuhal Gencer Erkaya, Nazan Kirilmis, Feridun Koc, Fatma Ceylan, Ebru Ceylan. |