Reconstruction
Christoffer Boe
Semaine Internationale de la Critique
Caméra d'or
Label regards jeunes

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Jusqu'où est-on prêt à se perdre, pour vivre une nouvelle histoire d'amour ?
Dans son premier long métrage, le cinéaste danois Christoffer Boe (déjà très remarqué aux Rencontres Internationales Henri Langlois de Poitiers pour son court métrage Anxiety) s'amuse très sérieusement à bousculer le cliché de la rencontre "coup de foudre".
Alex (Nikolaj Lie Kaas) est photographe et vit avec son amie Simone. Sur le quai du métro, il flashe sur Aimée, bourgeoise venue à Copenhague accompagner son mari August (Krister Henriksson) pour la promotion de son dernier livre. Quelque chose d'indéfinissable et d'inévitable se passe entre les deux futurs amants. Mais pour construire un nouvel avenir, assumer ses propres choix, il faudra d'abord déconstruire une histoire passée...
Christoffer Boe va s'employer avec malice à déconstruire son histoire ! Loin de procédés gadgets ou de contraintes "dogme à tics", allant bien au-delà d'un exercice de style brillant et inventif, le cinéaste va (dés)organiser sa narration avec habileté.
C'est l'écrivain/scénariste, même le plus en proie à l'angoisse du démiurge, qui garde le pouvoir de déconstruction et de reconstruction des événements... Les clichés qui vont participer à la manipulation des personnages/spectateurs sont ceux de photos satellites (astuce récurrente pour situer les protagonistes dans la ville), d'une bande de pellicule grattée, défilant comme dans un zootrope (troublante métaphore d'une chute abyssale dans le vide que creuse Alex) ou encore d'un nu féminin, photographié en 1857 par Eugène Delacroix (figure métonymique du désir amoureux).

La virtuosité de la mise en scène s'accompagne d'une grande maîtrise des "effets" qui laisse la beauté et l'émotion d'un grand drame romantique s'inviter dans cette œuvre qui aurait pu sans cela se réduire à un dispositif magistral mais un peu rêche. Ainsi les ralentis sont judicieux, les très gros plans sur les visages et les mains contrastent avec la distance prise pas la caméra quand elle profite du format scope pour mieux perdre les personnages dans l'architecture géométrique de la ville et dans les intérieurs surcadrés d'un pub ou d'une chambre d'hôtel.
Mais ce sont surtout les violons plaintifs de l'adagio pour cordes de Samuel Barber qui transcendent les sentiments amoureux les plus excessifs et contradictoires. L'interprétation des quatre personnages principaux est d'une grande justesse de ton, avec une mention spéciale pour Marie Bonnevie qui interprète le double rôle de Simone et d'Aimée (encore une espièglerie éclairée !).
Reconstruction
mérite d'autant plus la récompense de la Caméra d'or que l'équipe autour du réalisateur (producteur, chef cadreur et chef opérateur du son) s'est constituée à l'Ecole Nationale de Cinéma Danois pour les films de fin d'études puis a monté ensemble le projet de ce premier long métrage. A vingt-neuf ans, Christoffer Boe peut être assuré que son prochain film est déjà attendu avec intérêt et impatience.

Jean Gouny


1h29 - Danemark - Scénario : Christoffer Boe, Mogens Rukov - Photo : Manuel Alberto Claro - Son : Morten Green - Musique : Thomas Knak - Montage : Mikkel E.G. Nielsen, Peter Brandt - Interprétation : Nikolaj Lie Kaas, Maria Bonnevie, Krister Henricksson, Nicolas Bro, Malene Schwartz

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