Dogville
Lars von Trier
Sélection Officielle
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Trois ans après Dancer in the dark, tire-larmes surestimé valant surtout pour l'interprétation et la musique de Björk, et qui obtint la Palme d'or, Lars von Trier revient à Cannes avec l'une des œuvres les plus fortes de ces dernières années. Il en est rentré bredouille. Ironie des palmarès...
Certains lui ont tout de même reproché une théâtralité, arguant du fait qu'une petite ville est représentée par des marques à la craie sur un plateau noir et dépouillé et que trois heures de dialogues sont débitées par une troupe de comédiens triés sur le volet (Kidman, Bacall, Caan, Gazzara, Skarsgard...).
Quand on sait que l'auteur se réfère explicitement à l'œuvre de Brecht (L'Opéra de quat'sous, Mère Courage) et que le film est divisé en neuf chapitres avec prologue, on ne s'étonnera pas que le gros mot « théâtre filmé » ait été lâché. Pourtant, le filmage de dialogues et la mise en scène d'un dispositif théâtral peuvent donner du très grand cinéma quand ils sont assumés (Pagnol, Guitry, Welles, Mankiewicz, Kazan, Olivier, Resnais, pour ne citer que les meilleurs). L'artifice est de toute façon vite oublié en raison du jeu très retenu des acteurs (en particulier Nicole Kidman, actrice caméléon qui ne cesse de nous surprendre), du style « caméra à l'épaule » et de la force du scénario.

L'instant où Grace, l'héroïne en fuite, se cache dans une charrette (unique moment de l'histoire où l'on s'éloigne de la ville) nous vaut un plan-séquence d'une rare intensité dramatique compte tenu de ce que nous voyons sur l'écran. Dogville montre en fait une vision très noire de l'humanité. Nous y suivons le calvaire d'une jeune femme réfugiée dans un village des Montagnes Rocheuses et contrainte de devenir l'esclave de ses habitants : une parabole du fascisme et de l'intolérance, même si l'action se déroule dans les années 20 au cœur d'une nation démocratique.
Il faut y voir le signe de la méfiance qu'éprouve le réalisateur vis-à-vis d'une certaine idéologie des Etats-Unis même s'il semble fasciné par ses codes culturels et artistiques (le film noir et le pouvoir de la femme fatale, l'univers laborieux des paysans dépeints dans Les Raisins de la colère). Créateur ambitieux, Lars von trier confirme avec Dogville deux qualités que seuls les plus grands possèdent : le talent et l'audace.

Gérard Crespo


2h58 - Danemark - Scénario et dialogues : Lars vonTrier - Images : Anthony Dod Mantle - Décors : Peter Grant - Montage : Molly Malene Steensgaard - Interprétation : Nicole Kidman, Paul Bettany, Lauren Bacall, Ben Gazzara, James Caan, Philip Backer Hall.

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