Ten Minutes
Older renoue avec un type de cinéma un peu oublié ces vingt dernières
années, le film dit « à sketches », mais qui connut une popularité certaine
dans les années 50 et 60 notamment en Italie (Les
Monstres) mais aussi en France où il a touché aussi bien le cinéma
du samedi soir (Les Sept Pêchés Capitaux, Les Parisiennes)
que les cinéastes de la Nouvelle Vague (Paris vu par…). Autour
d'un sujet commun ou récurant, il réunit des cinéastes de sensibilité
diverse ou de nationalité différente.
Financé par des capitaux européens, principalement allemands, Ten Minutes
Older, se caractérise par son thème, le temps, un des plus subjectifs
qui soient au cinéma, et une stricte égalité de durée impartie au réalisateur
(10 minutes). Aux commandes, sept cinéastes, auteurs consacrés aux yeux
des cinéphiles. Au gré de ses goûts et de ses attentes, chacun aura sa
ou ses préférences parmi ces « petits » essais d'inspirations très différentes
qui ont au moins le mérite de donner des nouvelles de cinéastes dont la
carrière de certains semble marquer le pas. Alors qu'il a offert aux festivaliers
un des meilleurs films de la compétition officielle avec L'Homme sans
Passé, Aki Kaurismaki ouvre Ten Minutes Older avec une histoire
de déclaration d'amour soumise au décompte impitoyable du temps, au ton
décalé bien dans l'esprit du cinéaste finlandais, mais dont la chute est
décevante(Dogs have no Hell). Plus accompli semble le segment réalisé
par Victor Erice (Ligne de Vie). Dans un noir et blanc austère,
les
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notations
impressionistes sur un après-midi de l'été 1940 en Espagne débouchent
sur un demi-siècle d'Histoire.
Werner Herzog avec Ten Thousands Years Older fait retour en Amazonie,
terre qui le hante depuis Aguirre, sur les traces d'une tribu indienne
en perdition depuis sa prise de contact avec la civilisation. Ce reportage
réellement habité fait oublier les dernières fictions bien décevantes
d'un des trois grands du cinéma allemand des années 70. Dans Int. Trailer
- Night, Jim Jarmush cultive son minimalisme habituel et filme avec
élégance et humour le temps de latence entre deux prises d'une jeune actrice
dans sa caravane. Retour dans les paysages de Paris, Texas pour
Wim Wenders. Le sud-ouest des Etats-Unis sert de cadre à un étrange road-movie
tourné en DV, 12 Miles to Trona qui suit les tribulations d'un
automobiliste sous influence de substances hallucinogènes. Réussi. Si
la partie dévolue à Chen Kaige, 100 Flowers Hidden Deep, qui clot
le film est sympathique (un débile léger déménage virtuellement sa maison
modeste de Pékin, en réalité rasée pour faire place aux gratte-ciel de
la Chine nouvelle), c'est We Wuz Robbed de Spike Lee qui apparaît
comme le segment le plus percutant. Ou comment en 10 minutes chrono de
documents TV il démontre l'imposture de la dernière élection présidentielle
américaine. Brillant. Constat plutôt satisfaisant donc pour ce projet
atypique et ambitieux qui intéressera tous les amateurs de cinéma.
Pierre Soubeyras
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