Spider
David Cronenberg
Sélection Officielle
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Cette œuvre étrange et fascinante risque fort de créer des malentendus. Les fans de Cronenberg ne retrouveront ni l'attirail des technologies modernes qui firent le succès de ExistenZ, ni la perversité destructrice de Crash, ni la fascination pour les êtres mutants (Vidéodrome, La mouche). Les amateurs de films d'horreur à la Scream se sentiront lésés sur la marchandise, car l'effroi est ici psychologique.
En contant l'histoire de Spider (Ralph Fiennes), un aliéné victime d'un traumatisme et qui retrouve les lieux de son enfance, Cronenberg explore un univers mental. Spider, simple d'esprit, est tout sauf un homme simple et son travail de mémoire est ici analysé avec une précision d'entomologiste. Ce clochard autiste, incapable d'aligner trois mots compréhensibles, revit le drame qui brisa son existence : son père (Gabriel Byrne) assassina froidement sa mère (Miranda Richardson) et la remplaça par une prostituée.
Toute la puissance du film réside dans le sentiment d'incertitude qu'éprouve le spectateur : cette famille qui vit dans ce misérable quartier de Londres a-t-elle vraiment existé ? La tragédie vécue par Spider n'est-elle pas un pur fantasme ? Le sentiment de doute et de vertige qui nous envahit est amplifié lorsque Spider, tel un

fantôme, poursuit son errance somnambulique et déambule dans la maison sordide de ceux qui furent ces parents. La frontière entre songe et réalité, passé et présent, folie et raison est d'autant plus trouble que jamais le film ne sombre dans la lourdeur démonstrative ou la grandiloquence. Bénéficiant d'un travail remarquable de son équipe technique et artistique (des décors splendides sur les faubourgs de Londres, une lumière nocturne propice au sentiment de tension), Cronenberg signe l'un de ses meilleurs films et il faut remonter à M. Butterfly (1994), son chef-d'œuvre méconnu, pour retrouver une telle sobriété et un tel minimalisme.
Précisons aussi que l'œuvre
doit beaucoup à ses interprètes. Loin de ses compositions habituelles, Ralph Fiennes campe un demeuré saisissant et dans le double rôle de la maman et de la putain, Miranda Richardson confirme l'étendue de son registre.
Il est curieux que ce beau film sur l'imaginaire et le souvenir, digne des œuvres de Resnais, de Belle de Jour ou de Mulholland Drive, n'ait pas attiré l'attention du jury présidé précisément par David Lynch. Mais gageons que la claivoyance du public en fera un film culte.

Gérard Crespo


1h38 - Canada - Scénario et dialogues : Patrick McGrath - Images : Peter Suschitzky - Musique : Howard Shore - Montage : Ron Sanders - Décors : Andrew Sanders - Interprètes : Ralph Fiennes (Spider), Miranda Richardson (Mme Cleg, Yvonne), Gabriel Byrne (Bill Cleg), Lynn Redgrave (Mme Wilkinson), Bradley Hall (Dennis Cleg), John Neville (Terrence).

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