Un grand voyage vers la nuit
Di qiu zui hou de ye wan
de Bi Gan
Sélection officielle
Un Certain Regard






Le plus beau film de Cannes

Luo Hongwu revient à Kaili, sa ville natale, après s’être enfui pendant plusieurs années. Il se met à la recherche de la femme qu’il a aimée, jamais effacée de sa mémoire. Elle disait s’appeler Wan Quiwen…
Chaque année, au sein de la sélection officielle, toutes sections confondues, se trouve LE film à ne pas rater, le choc cinématographique que tout cinéphile semble être venu chercher sur la Croisette. À n’en pas douter, et malgré une sélection officielle riche en propositions de cinéma, c’est bien le second long métrage du jeune cinéaste chinois Bi Gan, Long Day’s Journey Into Night, qui a constitué la grande révélation de cette édition 2018. L’œuvre précédente du réalisateur, Kaili Blues, un road movie (déjà) hypnothique, était une réussite qui annoncait la naissance d’un vrai auteur. Ce qu’est venu brillamment confirmer ce sublime voyage au gré des souvenirs et de la mémoire d’un narrateur, quête psychologique et troublante dont il est bien difficile de sortir après la projection. Influencé tout autant par la peinture magique de Chagall que les romans de Patrick Modiano, le métrage fut d’abord construit par son auteur comme un film noir, avant qu’il n’en « détruise » les scènes, les unes après les autres, pour aboutir à cette œuvre nostalgique et poétique, digne d’un Wong Kar-wai version 2046. La première partie voit le héros revenir dans sa ville de Kaili car il recherche l’assassin de son ami et la femme qu’il a jadis aimée. La première scène, suave et superbe, nous indique bien que la temporalité est trouble, les époques se mélangeant subtilement. Le héros se retrouve dans des lieux étonnants comme une maison inondée ou un réservoir.

Puis, alors que sa quête n’aboutit pas vraiment, il atterrit dans une salle de cinéma de quartier où il revêt des lunettes 3D (le spectateur lui aussi avait été invité dès le générique à faire de même : « Ceci n’est pas un film en 3D, mais veuillez suivre notre héros pour savoir quand mettre vos lunettes »). Cette étape marque le début d’un voyage sidérant et fantasmagorique (la deuxième partie du film), filmé en un plan-séquence de près d’une heure en trois dimensions. Le personnage principal s’échappe de son passé, vit une nouvelle histoire d’amour éphémère, et fait des rencontres étranges dans les ruelles d’un village qu’il arpente de long en large. Loin d’être un simple artifice de mise en scène vain et prétentieux (comme souvent avec la 3D), ce procédé permet à Bi Gan de plonger son film dans une atmosphère onirique, abstraite et tout simplement magique. Le spectateur ne peut être que fasciné par ce qu’il voit, ce qu’il ressent, même si, sans aucun doute, une deuxième vision sera nécessaire pour encore mieux l’apprécier à sa juste valeur. Tout au long de ce périple, on pense au cinéma mystérieux de David Lynch (surtout pour la première heure) mais aussi à celui du maître Hou Hsiao-hsien (dont le dernier long métrage, The Assassin, avait été récompensé à Cannes en 2015). Dommage que ce Grand voyage vers la nuit, qui n’a pas été récompensé par le jury d’Un Certain regard, n’ait pas eu les faveurs de la sélection en compétition officielle, il y avait toute sa place.

Xavier Affre



 

 


1h50 - Chine, France - Scénario : BI Gan - Interprétation : TANG Wei, Sylvia CHANG, HUANG Jue.

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