Everybody Knows
Todos lo saben
de Asghar Farhadi
Sélection officielle
En compétition
Ouverture







Un secret

À l’occasion du mariage de sa sœur, Laura revient avec ses enfants dans son village natal au cœur d’un vignoble espagnol. Mais des évènements inattendus viennent bouleverser son séjour et font ressurgir un passé depuis trop longtemps enfoui… Asghar Farhadi est, avec Jafar Panahi, le cinéaste iranien actuel le plus créatif. Depuis le surprenant triomphe international d’Une séparation, son chef-d’œuvre, il est devenu le maître d’un cinéma où des scénarios éblouissants sont imbriqués dans un dispositif de mise en scène épurée, avec cet humanisme qui ne tombe jamais dans le sentimentalisme, ce qui est la marque des plus grands. La (relative) déception que suscite son dernier opus doit tenir compte du fait que Farhadi n’avait jusqu’à présent jamais effectué de faux pas, malgré le sentiment de redondance et d’effet de surprise émoussé que l’on pouvait ressentir devant Le Client, œuvre passionnante au demeurant. Dissipons d’abord tout malentendu : la transposition en Espagne d’un matériau initial destiné à être tourné en Iran n’est pas, a priori, un problème en soi. Farhadi avait prouvé qu’il savait trouver ses marques dans un tournage à l’étranger, avec des acteurs d’une langue qui n’est pas la sienne : Le Passé, réalisé en France, permettait de retrouver son style et sa patte, conformément à ce que l’on nommait jadis la politique des auteurs : à savoir pour Farhadi des plans sans esbroufe et un filmage dépouillé, pour mettre en avant des conflits sentimentaux ou de voisinage, avec une caractérisation en trompe-l’œil de personnages plus nuancés qu’ils n’en ont l’air. Nul manichéisme chez Farhadi qui révèle toujours les failles d’hommes et femmes que l’on pense irréprochables, tout en trouvant une excuse à ceux en apparence malveillants. On retrouve ces constantes dans Everybody knows : une adolescente est subitement enlevée le soir d’un mariage, le rapt entraînant la douleur et le désarroi d’une mère rattrapée par un passé de rancœurs familiales et amoureuses. Car plusieurs membres de l’entourage ont pu avoir intérêt à effectuer l’enlèvement et demander une rançon, à commencer par le père, resté en Argentine, et dont on apprend qu’il a de graves problèmes financiers.

Mais une vengeance sentimentale ou l’aigreur d’un clan pourraient tout aussi bien être à l’origine du drame. On se doute bien qu’avec Farhadi aux commandes la trame policière n’est qu’un MacGuffin et qu’il a préféré emprunter la voie de la tragédie pour analyser les effets de l’enlèvement sur des protagonistes qui ont du mal à cicatriser des plaies : ils se dévoilent sous un autre angle, sans que le spectateur ne cesse de les trouver attachants. « Je ne compte pas transmettre nécessairement un message au travers de mes films. Si des spectateurs de n’importe quels lieux du monde, de n’importe quelle culture et langue, aux caractères très divers, parviennent à éprouver de la sympathie pour mes personnages sans pour autant les connaître, s’ils peuvent s’imaginer à la place de l’un d’entre eux, j’aurai atteint mon objectif », a déclaré Asghar Farhadi dans le dossier de presse. Cette aptitude à créer un lien entre le public et des personnages contrastés est toujours réelle chez le réalisateur, qui manie en outre les ruptures de ton avec subtilité : on citera le contraste entre la fausse harmonie communautaire du début du film (la fête de mariage) et la tournure que prend le récit lorsque l’aigreur et la méfiance se substituent à la solidarité. Mais le scénario n’est pas exempt de maladresses, à l’image de ce personnage d’ancien policier, ami de la famille, qui vient apporter son aide face à la nécessité de ne pas alerter la gendarmerie. Et si Asghar Farhadi reste un conteur talentueux, il semble se mouler ici dans les conventions d’un certain cinéma international « de qualité », qui gagne en efficacité et en maîtrise technique ce qu’il perd en singularité. Les acteurs en revanche sont impeccables, et Javier Bardem tout comme Penélope Cruz sont de sérieux prétendants au prix d’interprétation cannois, bien qu’ils l’aient déjà obtenu, lui avec Biutiful et elle avec Volver. Des partenaires talentueux comme Ricardo Darín ou Bárbara Lennie complètent un casting impeccable. Ne serait-ce que pour les comédiens, et une facture d’ensemble qui reste honorable, Everybody Knows mérite l’attention.

Gérard Crespo



 

 


2h10 - Espagne, France, Italie - Scénario : Asghar FARHADI - Interprétation : Penélope CRUZ, Javier BARDEM, Bárbara LENNIE, Ricardo DARÍN, Eduard FERNANDEZ, Inma CUESTA, Ramon BAREA.

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