Copacabana
de Marc Fitoussi
Semaine internationale de la critique - Séance spéciale


Sortie en salle : 7 juillet 2010




« Élisabeth, ça fait reine d’Angleterre »

Copacabana est l’occasion rêvée de parler comédie, avant que le mot ne disparaisse complètement, détrôné qu’il est en train de l’être par le feel-good-movie. La comédie que, dans son aversion pour le misérabilisme, Marc Fitoussi favorise comme style d’expression de l’aventure humaine, même si l’existence n’y est pas toujours rose.

Autour de Babou – Isabelle Huppert, de tous les plans – le réalisateur aborde sous plusieurs angles la satire d’une société, à la marge de laquelle quelques rares spécimens tentent de rester en vie : Babou impose ainsi ses actes de résistance tenace tout autant que d’abandon mélancolique dans sa relation maternelle exacerbée, dans son approche déconnectée d’un monde du travail déshumanisé, dans son rapport ambigu avec tout ce qui l’approche. Trop et mal maquillée, coiffée en choucroute choucroutante, abonnée à la galère, en rupture de réussite sociale et de tout le reste, indépendante à tout prix, réfractaire à tout immobilisme, distillant autant de bonheur que d’exaspération, elle prend ses distances vis-à-vis de la morosité ambiante, embrasse la vie et ses emmerdes avec fougue, état d’être que plus simplement elle résume par « J’ai du tempérament » et qui malgré le magnétisme immédiat qu’elle exerce ne peut que lui valoir une certaine solitude, à laquelle finalement elle postule, comme pour se préserver de toute contagion de normalité.

Et c’est justement lorsqu’elle va devoir tenter un passage forcé de la marge à la norme, que nous croisons sa route, à Tourcoing d’abord, à Ostende ensuite, deux coins « gais comme le canal » et peu propices à l’épanouissement des rêves de Brésil et d’exotisme de Babou.

Heureuse de renouer une complicité distendue avec sa fille, alors qu’elle lui sert en sari un repas amoureusement mitonné, Babou encaisse un double choc : et d’une, Esméralda va se marier – à l’église en plus ! – avec Justin, fiancé raide comme la justice, pour s’embarquer dans une existence d’un conformisme et d’une platitude qui la désolent ; et de deux, la présence de la maman excentrique et insolvable, censée être à ce moment-là en voyage au Brésil, n’est pas souhaitée.


Les quelques secondes de visage décomposé par la cruelle mais significative admonestation, donnent à elles seules la mesure du talent d’Isabelle Huppert. Blessée au plus profond d’elle même, Babou va se mettre en quête d’un boulot. Et, on ne se refait pas, elle va trouver le pire, la vente d’appartements en time sharing, à Ostende, en morte saison, où là encore, s’accrochant in extremis quand elle a envie de tout envoyer balader, elle va exploser les schémas en vigueur dans ce monde impitoyable.

Marc Fitoussi prodigue un soin clinique à ses seconds rôles. Outre l’impulsive Lolita Chammah (fille de Babou/Huppert à l’écran comme à la ville), et après avoir laissé à Tourcoing son pote de mouise Patrice (Luis Rego), on découvre à Ostende une galerie de personnages tous plus impeccables les uns que les autres : Lydie (Aure Attika) l’enragée des techniques de vente et de la compétitivité agressive, Irène la coloc méchante à force de frustrations, le trop sage Bart, rencontré par hasard, ou encore les précaires Amandine et Kurt, candidats à l’« aller voir ailleurs »… jouent avec bonheur leur partition bien précise, sans que l’auteur ne condamne jamais l’un ou l’autre, le bourreau d’un jour pouvant devenir aussi vite la victime du lendemain, la peur pouvant changer vicieusement de camp à tout moment. Et pour ce qui concerne le rôle principal, personnage tout en pulsions et minutieusement construit tant par le réalisateur que par l’interprète, il ne tombe jamais dans la caricature de la baba-cool paresseuse, Babou étant beaucoup plus que ça, ou beaucoup moins, juste quelqu’un qui a « trop ouvert les mains » et qui n’a pas envie d’en rester là.

Il filme son actrice avec amour, caméra à l’épaule pour l’instabilité de la première partie, plans fixes pour l’enfermement dans l’environnement déshumanisé de la Flandre et il pratique même la caméra cachée pour les scènes de retape de clients au débarcadère du port.

La narration est énergique, les dialogues et joutes verbales réjouissants, le charme agit à fond.

Marie-Jo Astic


1h21 - France - Scénario : Marc FITOUSSI - Interprétation : Isabelle HUPPERT, Lolita CHAMMAH, Aure ATIKA, Jurgen DELNAET, Chantal BANLIER.

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